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hommes, ce sacrifice à l’économie et à l’égalité, qui remplaçait les broderies, les dentelles et les plumes, les culottes courtes et les étoffes claires, les boucles et les bijoux, par un frac abordable pour toutes les situations et toutes les fortunes, pendant le développement de cette longue série d’abnégations masculines, nos moitiés intraitables n’ont cessé de s’attifer à la grecque, à la turque, à la chinoise, à la Marie-Stuart, à la Médicis, de se costumer en bergères Watteau ou en marquises Louis XV. Si bien que, dans le ménage actuel, l’épouse fleurie, enrubannée, constellée, triomphante, enveloppée d’une atmosphère invisible de vénusté qui s’évapore autour d’elle, apparaît à côté du mari résigné, sombre, éteint et plat.

Félicitons les femmes de n’avoir fait aucune concession à la tendance niveleuse des toilettes, de n’avoir point entendu raison sur ce qui touchait à leur beauté ; mais reconnaissons qu’elles obéissent elles-mêmes, en esclaves, à la tyrannie de modes qui souvent furent absurdes et, ce qui est plus grave, parfois hideuses. Ces modes, nul ne sait qui les ordonne ; les couturiers, qui sont censés les diriger, avouent n’avoir sur elles presque aucune influence. C’est un souffle qui passe, mystérieux et irrésistible ; quelque chose comme le vent qui soulève, à certaines heures, les peuples, ou apporte les épidémies ; bien qu’avec moins de dommages, puisque le résultat est, au pis aller, d’obliger pour quelque temps à des déformations artificielles des êtres que la nature avait harmonieusement bâtis.

Le siècle qui finit en a connu d’assez mémorables : la taille, remontée jusque sous les bras ou descendue jusque sur les reins ; les hanches, démesurément élargies par les paniers empruntés à l’ancien régime ; telle autre partie du corps follement amplifiée par des « tournures » postiches, puis dissimulée, escamotée par de laborieux déplacemens ; les jambes, tantôt perdues au centre de cages ovoïdes, — les crinolines, — que soutenaient des cerceaux d’acier, tantôt ficelées en boudins dans des fourreaux qui paralysaient tout mouvement ; les bras, un moment cachés sous des manches dont l’ample bouffissure rappelait le pantalon d’un zouave, et découverts peu après, en tenue de soirée, sous une épaulette de ruban, si étroite qu’elle ne permettait plus de porter la main à ses cheveux sans immodestie.

De ces modes, les moins gracieuses ont même succès et souvent même durée que les plus seyantes ; l’élite élégante y répugne