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au mois d’août cueillir de porte en porte les modes de la saison prochaine, représentent 8 pour 100 ; les ventes faites à Paris à des étrangers absorbent 38 pour 100 ; quant à la consommation française proprement dite, elle ne constitue que 37 pour 100 du total.

Ce total varie, suivant l’importance relative de chaque établissement, de 5 à 8 millions de francs, divisés entre 3 000 comptes environ, dont 7 à 800 nouveaux chaque année. Les titulaires de ces comptes sont de qualité très inégale sous le rapport de la fortune : nombre de dames riches, en France, ne se font pas habiller chèrement, tandis que beaucoup d’autres, médiocrement aisées, s’endettent pour se vêtir. S’assurer que ces dettes seront payées est une grosse préoccupation des fournisseurs. L’un d’eux eut naguère l’idée ingénieuse de coucher sur une « liste noire » les noms des insolvables convaincus. Le malheur voulut que cette liste secrète, imprimée à l’usage exclusif des membres de la corporation, tombât sous les yeux de l’un des débiteurs qui y figurait et qui mena, dans les journaux, un terrible tapage contre une entreprise si indiscrète.

Les commerçans renoncèrent à ce procédé, mais perfectionnèrent leurs moyens d’investigation. Lorsqu’une inconnue se présente, ils profitent du délai demandé pour l’essayage et, avant de donner un coup de ciseau dans le tissu, se procurent, sur le genre de vie de cette cliente nouvelle, des détails qui leur permettent d’évaluer le découvert qu’elle comporte. Ils n’ont pas toujours besoin de s’adresser à cet effet aux agences ; on se prête entre confrères une assistance mutuelle sur ce chapitre ; la mode aussi renseigne la couture, et. aussi les bijoutiers ou autres négoces analogues, à charge de revanche. L’acheteuse de passage, logée à l’hôtel, est tenue de payer d’avance.

Les aigrefins du monde entier ont l’œil sur cette proie qu’est le quartier de l’Opéra pour les objets de luxe, du luxe qu’ils veulent obtenir gratis. Tous les jours et particulièrement dans le plein de la saison, à l’époque du Grand Prix, arrivent, soit une débutante de la galanterie qui espère trouver, grâce aux robes qu’elle commande et qu’elle portera si gracieusement, le gentleman capable d’en acquitter le montant ; soit des messieurs, de noms connus dans l’aristocratie européenne, qui sollicitent du crédit pour d’aimables compagnes, mais dont la garantie personnelle est trop mince en faveur de leurs protégées ; leurs promesses,