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ou même leurs billets, ne pouvant être acceptés nulle part.

Malgré les efforts de précaution du vendeur, ses pertes sont nombreuses. La délicatesse n’est pas toujours en honneur dans les couches sociales les plus élevées ; il se trouve souvent des altesses qui paient mal ou qui ne paient pas. L’histoire de certaine princesse a défrayé la presse il y a quelques années ; mais il est, au compte de familles souveraines, beaucoup d’autres créances irrécouvrables que le public ne connaît pas. Le crédit, vis-à-vis des clientes qui, plus ou moins exactement, finissent par s’acquitter, est une lourde charge chez les couturières, même les plus modestes. Un prédicateur influent a trouvé la question assez importante pour la traiter en chaire, dans des retraites consacrées aux femmes du monde. Il leur a fait un cas de conscience du retard qu’elles apportaient à régler leurs notes ; il a cité l’exemple d’une petite patronne récemment établie, malade de la fièvre typhoïde et n’ayant pas un sou pour acheter des remèdes, tandis qu’on lui devait, par fractions de 150 à 700 francs, une somme assez notable qu’elle n’osait pas réclamer, crainte de déplaire.

Mais les femmes ne commanderaient pas, si elles savaient qu’on apportera la facture avec la robe ; pénétrées de ce principe, les grosses maisons consentent des crédits dont l’ensemble monte, chez l’une d’elles, jusqu’à 6 ou 7 millions. Le capital flottant n’est pas sans réduire leur bénéfice net, dont l’importance est assez difficile à préciser à cause de la manière dont elles le calculent. Ici on l’estime à 30 pour 100, tandis qu’ailleurs on affirme qu’il n’excède pas 10 pour 100 du chiffre d’affaires. L’expert, commis par le tribunal de la Seine pour examiner les livres d’une couturière, dont les factures étaient taxées d’exagération par sa cliente, exposa, dans son rapport, que le prix de revient des marchandises ressortait à 43 pour 100 seulement du prix de vente ; et l’avocat de la plaignante fit remarquer que, dans ces livres même, le prix d’achat des étoffes était déjà majoré, suivant un usage d’ailleurs général, pour parer à la dépréciation que subissent, d’une année à l’autre, les coupons invendus.

De ces soldes, quelques-uns sont utilisés, d’après leur nature et leur dimension, sous forme d’ombrelles, de jupons, de sachets ou de boîtes à gants. Mais le commerce des toilettes de luxe offre tant d’aléas qu’un ordre plus ou moins strict dans la gestion, une prudence plus ou moins sévère dans l’acceptation des commandes, fait varier singulièrement le profit définitif.