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la « fleur, » c’est-à-dire l’épiderme ; tandis que les cordonniers se contentent du dessous, appelé « chair. » S’agit-il d’établir ces bottines jaunes, dont la mode s’est introduite depuis une dizaine d’années, il suffit de présenter le cuir à l’envers. En veut-on de blanches pour les enfans, on utilise le jeune veau, dit « mort-né, » dont le poil est rasé de près. Le mouton sert aux contreforts et aux doublures ; quant aux pantoufles ou aux souliers du plus bas prix, on les obtient en collant une « efflorure » de peau sur du carton ou sur du feutre.

Quoique le pied passe, dans la personne humaine, pour la partie la moins intelligente, — on ne sait pourquoi, peut-être par son éloignement de la tête, — tellement que c’était il y a deux cents ans une locution courante de dire d’un sot « qu’il avait peu d’esprit hors des talons, » d’où sans doute l’expression moderne de « bête comme ses pieds, » l’habillement de ces extrémités inférieures n’en constitue pas moins un art très délicat parce qu’il est sans retouche possible.

Ni le cordonnier qui prend méticuleusement les largeurs de doigts et les saillies de cheville, après avoir tracé les contours de plante sur une feuille de papier, ni son client qui, pendant ces préliminaires, multiplie les avis et les conseils afin de n’être ni trop à l’étroit, ni trop au large, n’eussent imaginé, il y a trente ans, qu’un individu soucieux de sa toilette pût s’introduire sans humiliation dans des souliers fabriqués à la grosse par une usine.


C’est la botte
Qui dénote
L’homme vraiment élégant,


formulait excellemment le bottier fashionable de la Vie parisienne. Ambitieux de créer plus tard pareilles bottes, le jeune « bœuf, » — ainsi désigne-t-on l’apprenti, — commençait par poisser les fils et ajuster des soies de porc. Le grand jour venu où son patron lui mettait l’alène en mains, il était admis à une initiation dont la durée, avant de passer compagnon, était de cinq ou six années. Sous l’ancien régime, c’était plus grave encore : à voir les cérémonies, les sermens et les onctions laïques qu’il fallait pour affilier à Paris un cordonnier aspirant à la maîtrise, on eût dit qu’il s’agissait de graduer un docteur ou de consacrer un prêtre.

Le plus grand nombre, parmi ces «disciples de saint Crépin, »