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Meneval avait l’ordre formel de ne point répondre. Il prit néanmoins sur lui d’en reparler à l’Empereur : — « Ecrivez à Bourrienne que, comme il sacrifie au veau d’or, je le récompenserai avec de l’argent. Quant à la Légion d’honneur, je ne la donne qu’à ceux que j’estime. » Napoléon avait pourtant nommé Grand-Aigle M. de Talleyrand !


II

C’est ainsi que Meneval succéda à Bourrienne. Ce n’était pas une sinécure que d’être l’unique secrétaire d’un homme comme Napoléon, qui disait avec raison n’avoir jamais connu de limite à son travail. Meneval couchait aux Tuileries, et y prenait ses repas à la table de Duroc et des aides de camp de service. Levé dès sept heures, il ouvrait, lisait et classait toutes les lettres, de façon à les présenter en ordre à l’Empereur. Napoléon jetait par terre les lettres qui lui paraissaient sans importance (c’était ce qu’il appelait « faire le meilleur de sa besogne », griffonnait un mot sur la marge de quelques-unes, et dictait les réponses aux autres. Puis commençait la dictée des longues notes pour les ministres et les ambassadeurs, des lettres aux souverains, des instructions détaillées aux commandans de corps d’armée et d’escadre, aux préfets, aux directeurs des ministères. On a publié environ 27 000 lettres de Napoléon, et il en a écrit peut-être deux ou trois fois plus. Sa correspondance contenait toute l’administration de l’Empire (qui, sans compter l’Illyrie et les îles Ioniennes, avait cent trente départemens), les finances, la diplomatie, les opérations militaires, enfin les relations avec les États tributaires, l’Italie, Naples, l’Espagne, la confédération du Rhin. Il dictait une moyenne de quinze lettres par jour. « Je faisais tout par moi-même, écrit-il à Sainte-Hélène, et presque tout par la voie de mon cabinet. Aussi je ne pouvais avoir et je n’avais en effet nul secret pour Meneval. » Napoléon précipitait ses paroles au point que la plume la plus rapide ne pouvait les transcrire. Meneval notait les idées et les expressions caractéristiques, et, avec sa grande habitude du style de Napoléon, il reconstituait les lettres en mettant les dictées au net. Certains jours, l’Empereur travaillait dans son cabinet le matin et tout l’après-midi. Souvent il se relevait la nuit ; il faisait parfois réveiller Meneval. Si Napoléon avait écrit seul, Meneval, en entrant le matin, trouvait