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— Diables de Parisiens ! dit Poncet, ils choisissent bien leur moment pour jouer à la révolution ! Enfin, cela aura du moins servi à consacrer la République aux yeux des brid’oison pour qui la « fôorme » est tout.

— Reste à connaître, dit M. Réal, le jugement de la France.

— Bah ! bah ! que ferions-nous aujourd’hui d’une Assemblée ? Orléans, Napoléon, Chambord, chaque parti voudrait tirer à soi, et pour cela traiter au plus vite. Les élections se feront toujours assez tôt. Moi, je répète avec Favre : « N’ayons qu’un cœur et qu’une pensée : délivrance de la Patrie. »

— Qui sait pourtant ce qui sortira de la démarche à Versailles de M. Thiers ?

— Mais, mon bon Charles, c’est une question tranchée. Thiers a échoué, il nous revient. La Prusse n’a voulu admettre ni le ravitaillement de Paris, ni la participation à une Constituante des élus de l’Alsace et de la Lorraine. Autant avouer qu’elle compte nous arracher les deux provinces !

— Alors, fit M. Réal, en pensant à ses fils, — car, bien qu’il eût préféré une paix honorable, il acceptait dans toute sa rigueur le sacrifice, — adieu vat ! comme dit notre cousin le marin.

À la Préfecture, antichambres et couloirs bourdonnaient de solliciteurs. Ils croisèrent des silhouettes de policiers devant les bureaux de la Sûreté, oh régnait depuis trois semaines A. Ranc. Il était arrivé par ballon en même temps que Kéralry, qui, ayant résigné ses fonctions de préfet de police, était, après une courte mission à Madrid en vue d’obtenir des secours militaires du maréchal Prim, reparti pour le camp de Conlie, où il devait organiser les forces de Bretagne. Plus loin, des journalistes venus à la publicité, une armée de postulans à toutes fonctions publiques, des radicaux en quête de sous-préfectures, garnissaient les embrasures, couvraient les banquettes. Grâce à Poncet, ils n’attendirent qu’une demi-heure. Plus rien qu’un timbre à faire apposer au Maréchalat. Ils descendaient l’escalier quand le « Sorcier » salua familièrement un monsieur très pressé, qui souleva sa casquette blanche à guirlandes d’or entrelacées, M. Steenackers, le directeur des Postes et Télégraphes.

— Une rude besogne !

C’est à la Préfecture que se centralisaient les innombrables fils dont le réseau, toujours frémissant, enveloppait les provinces encore libres, portait aux extrémités du territoire et jusqu’aux