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même ou la substance des Moralités que contre les procédés qui la faisaient comme évanouir, cette substance, à force d’être allégorisée. Du premier de ces deux points on trouvera la preuve dans le savant ouvrage d’Alessandro d’Ancona sur les Origines du Théâtre en Italie[1], et la preuve du second dans les préfaces de nos Gré vin ou de nos Jean de la Taille[2]. Il est permis d’en tirer cette conclusion, que la Renaissance a eu pour premier caractère d’être littérairement une réaction contre le moyen âge, — plus ou moins consciente, je ne l’examine point ici ; — et, secondement, que cette réaction a eu pour objet, un peu dans tous les genres, de substituer à l’allégorisation la représentation de la nature.

Mais cela ne s’est point fait tout de suite, ni directement, et c’est ce qu’on voit bien encore par l’exemple de la tragédie. Ce n’est point d’abord en eux, ni autour d’eux que les hommes de ce temps ont reconnu la nature, mais dans les œuvres de l’antiquité ; et ce n’est donc point à la nature elle-même qu’ils ont demandé les moyens de limiter, mais à ceux qui l’avaient autrefois « attrapée ». Un grand peintre a dit, — et c’était un peintre de portraits, — que toutes les leçons de l’art de dessiner ou de peindre n’avaient pour but que d’exercer l’élève « à voir la nature ; » et, en effet, tout le monde a des yeux, mais beaucoup ne s’en servent pas pour voir. Les hommes de la Renaissance ont demandé aux anciens de leur apprendre à voir ; et, novices dans cet art, si difficile à la fois et si simple, ils ont, comme il arrive en pareil cas, imité pêle-mêle les qualités et les défauts de leurs maîtres. Par là s’explique la fièvre d’érudition qui les a échauffés, exaltés, soutenus ; l’erreur qu’ils ont commise, poètes ou artistes, non pas tant sur le choix que pour n’avoir pas voulu faire de choix entre les modèles ; et le prix souvent excessif que, sans y pouvoir atteindre eux-mêmes, ou peut-être par désespoir d’y atteindre, ils ont attribué à la perfection de la forme.

C’est à ce moment que trois influences ont agi particulièrement sur le genre tragique, et l’ont transformé, d’une imitation morte ou languissante qu’il était de l’antique, en une imitation

  1. Florence, 1872, Lemonnier éditeur.
  2. Voyez dans le Jacques Grévin de M. Lucien Pinvert, Paris, 1899, Fontemoing, le chapitre intitulé : le Théâtre de Grévin, pages 165, 166 ; et dans l’édition des Œuvres de Jean de la Taille, Seigneur de Bondaroy, donnée par M. René de Maulde, Paris, 1878-1882, Léon Willem, en 4 vol. in-12, la préface des Corrivaus.