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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

destitué, il donnait à Bourbaki le commandement en chef des 15e, 18e et 20e corps, reconstituant à Sully la première armée de la Loire, avec mission de reprendre immédiatement l’offensive, de se remettre en route vers Melun et Fontainebleau ; Chanzy, en plus du 16e et du 17e corps, prenait le commandement du 21e amené du Mans par Jaurès, et formait la deuxième armée de la Loire, avec mission d’assurer la défensive, de Vendôme à Beaugency, par la forêt de Marchenoir.

À la gare, où la voiture les déposait avec peine, au milieu de la bousculade des voyageurs et des bagages, d’un entassement fou de matériel et d’impédimenta de toutes sortes, les Poncet mettaient deux heures à prendre leurs billets, à faire enregistrer leur malle, à gagner le quai d’attente noir de monde. Les trains se succédaient, pris de force et bondés. Certains croyaient déjà voir apparaître les lances des uhlans, maudissaient la confiance de Gambetta, les illusions dont il les avait bercés. Une autre foule, plus serrée encore que la première, emplissait les salles, couvrait les quais. C’étaient, constamment ramenés par d’interminables files de wagons à bestiaux, des blessés pâles, linges sanglans, vêtemens en loques, un grand nombre, par ce froid lugubre, en pantalons de toile. Personne ne semblait s’apercevoir de leur présence. Sur les garages, des convois entiers stationnaient, tout murmurans de plaintes, sans pouvoir être débarqués. L’évacuation, dans l’affolement de l’intendance éperdue, ne se faisait pas. Et les blessés arrivaient toujours, beaucoup morts en route, ou mourans d’attendre.

Mme Poncet, deux grosses larmes dans les yeux, souffrait d’être à ce point inutile. Il lui tardait maintenant de partir. Poncet, révolté dans sa pitié profonde, éprouva, plus violentes, l’horreur de la guerre et la haine de l’ennemi. Tous deux, le vieux couple de travail et de charité, pensaient à leur fils, si loin dans ce Paris qui allait s’éloigner encore, à leurs neveux Eugène et Louis, à Charmont incertain, où bientôt l’invasion entrerait. Si encore ils avaient pu emmener les deux petites ! Que Gabrielle et Marie voulussent rester avec Marceline, les trois générations de Réal autour du grand-père, obstinément fidèle au foyer et au sol, ils le comprenaient bien. Mais une jeune fille comme Marcelle, une gamine comme Rose ! Est-ce que leur place était là ? Vainement, ils l’avaient dit hier à Charles, arrivé de Saint-Étienne, où la fabrication des torpilles était terminée ; il était