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çait trois jours auparavant vers le mirage de l’armée de Ducrot, tout ce qui restait de l’armée de la Loire, l’effrayante horde, lignards, zouaves, chasseurs, mobiles, artilleurs, cuirassiers, hussards, le prodigieux amalgame de canons, de caissons, de voitures s’écrasa, cependant que le long des rues noires et des maisons mortes, dans Orléans évacué pour la quatrième fois, le grand-duc de Mecklembourg entrait, minuit et demi sonnant, derrière les tambours plats et les fifres aigres.

XI

— Dépêche-toi, ma bonne, si tu ne veux pas être en retard, fit Poucet, s’emparant d’un sac de nuit et d’une valise, tandis que sa femme, son chapeau à brides sur la tête, donnait un dernier tour de clé aux placards et aux armoires. Avec une ironie mélancolique, il ajouta : — « C’est que, vois-tu, il y a des gens plus pressés que nous ! Ce soir il ne restera plus à Tours que les Tourangeaux pur sang… » Tous deux embrassèrent d’un regard cet appartement des Réal, où, depuis l’arrivée de la Délégation, ils avaient vécu des heures d’intimité, d’angoisse, d’espoir.

Rue Royale, quantité de gens couraient vers la gare. Devant le Maréchalat, on chargeait sur une charrette des cantines et des caisses précipitamment empilées. Partout, à l’Archevêché, au petit séminaire, à la préfecture, au palais de Justice, au lycée, que les grandes administrations quittaient, c’était le même déménagement fiévreux, où chefs de service, commis, garçons de bureau, chacun mettait la main aux paquets. Tours, dans l’immense remue-ménage, se vidait en deux jours de ce que deux mois d’énorme centralisation y avait entassé de personnel, de dossiers, de paperasses. Déjà, dans la soirée du 8 et dans cette matinée du 9, les services des ministères, les hauts personnages, le corps diplomatique, Fourichon, Grémieux, étaient partis pour Bordeaux. Quant à Glais-Bizoin, toujours mouche du coche, il s’en allait en Bretagne visiter le camp de Conlie. Gambetta, lui, demeurait en arrière, voulant suivre de près le mouvement des armées, où il jugeait la présence du ministre de la Guerre utile. Ah ! sans Gambetta, sans le prodigieux ressort de cet homme que, loin d’abattre, l’imminence du danger redressait, fouettait d’une énergie nouvelle ! Le jour même, des deux tronçons de l’armée, il avait refait des armées nouvelles. D’Aurelle enfin