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place Royale[1], et que s’il a souffleté Hugo, ce n’est pas par adoration pour le dieu d’Eloa. L’article de Planche a soulevé des scandales et de vives colères dans le petit monde idéaliste et de dilettantisme poétique qui se meut autour de Vigny : Péhant, jeune auteur de sonnets, a quasi demandé Buloz en duel : Emile Deschamps s’est remis au vers et a rimé une ballade sur Chatterton ; Barbier, qui est l’aristocrate poétique le plus raffiné, qui n’aurait dû faire que des pianto et des sonnets artistiques…, Barbier et tous les autres poètes à la Chatterton de ce petit monde crochent sur Planche qui relève la tête ; ils sont confits dans ce succès, qui n’a pas été de coterie le premier jour, mais qui l’est vite devenu !…


Péhant, jeune auteur de sonnets !… Sous la plume de Sainte-Beuve, cette simple mention équivaut à la mise à l’ordre du jour d’un sous-lieutenant dans l’armée. Et, en effet, Emile Péhant avait publié chez Erhard, au mois d’octobre 1834, un petit volume de sonnets qui ne valaient certainement pas le sonnet de Barbier sur Michel-Ange, mais dont quelques-uns pouvaient rivaliser avec les meilleurs des Consolations et des Pensées d’Août.

Sonnet, gentil sonnet, poème-colibri,
De prendre ta volée enfin l’heure est venue :
L’air manque au nid étroit qui t’a servi d’abri,
Tandis qu’un large ciel rit à ta bienvenue.

Pars donc, mais sois modeste, ô mon sonnet chéri ;
Dieu ne t’a pas créé pour affronter la nue,
Des efforts excessifs t’auraient bientôt flétri :
Ne monte pas qui veut à la sphère inconnue !

Reste près des gazons, effleure les ruisseaux,
Mêle ta voix légère à la voix des oiseaux,
Baigne ton aile aux fleurs dont avril se parsème.

Pour être humble, ton sort n’en sera pas moins doux :
Le roitelet n’est guère admiré, mais on l’aime…
Heureux roitelet ! l’aigle en est parfois jaloux.


Tel est le prélude du recueil, mais ce sonnet-préface, d’allure pimpante et légère, n’indique point le ton général de ceux qui suivent. Et le roitelet, à qui le poète vient de donner si modestement la volée, aura tout à l’heure des coups d’aile et des cris d’une autre portée et d’une autre envergure. Après cela, les sonnets de Péhant sont tout aussi romantiques que ceux de Musset et de Sainte-Beuve, si le romantisme est avant tout l’épanouissement

  1. Où habitait Victor Hugo.