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sollicitaient avec tant de chaleur étaient ceux-là mêmes sur qui s’était exercée l’usure, objet du procès. Le contraste d’un homme poursuivi criminellement pour avoir fait à des particuliers un fort dont ceux-ci non seulement ne se plaignaient pas, mais même témoignaient de la reconnaissance, me parut singulier et me fit faire bien des réflexions. »

À ce besoin d’argent, si impérieux qu’il ne laisse pas la liberté de discuter le taux du prêt, à cette masse sans biens qui s’estime heureuse encore d’être volée par ses sauveurs, presque tous les États ont donné satisfaction, dans une mesure plus ou moins large, par l’institution officielle de monts-de-piété investis de monopoles. La nécessité de ces monopoles est amplement justifiée par leur comparaison avec le régime adopté en Angleterre et en Amérique, où l’industrie libre a développé l’usure, avec un succès qui n’a pas son pareil sur le continent.

Le nombre des emprunts de ce genre est vingt fois plus considérable en Angleterre qu’en France ; à Londres seulement, opèrent 650 préteurs patentés, — pawn-brokers, — qui reçoivent chaque année 39 millions de gages sur lesquels ils avancent 243 millions de francs. Sauf les trois boules d’or de Lombardie, qui continuent de figurer à leur enseigne, rien ne rappelle, dans ces boutiques furtives où pénètre un peuple honteux, l’institution bienfaisante due au moine démocrate de la renaissance italienne, l’illustre Savonarole. Dans ce pays de Grande-Bretagne où foisonne l’opulence, où les fonds publics, rapportant à peine 2 et demi pour cent, se capitalisent plus haut que nulle part ailleurs, l’intérêt du prêt sur gages oscille entre 20 et 25 pour 100 et, d’après l’Act de 1872, l’objet donné en nantissement peut être vendu au bout d’un an et sept jours, si le montant de l’avance ne dépasse pas 10 shillings, sans que l’emprunteur puisse réclamer le « boni, » c’est-à-dire l’excédent du produit de la vente sur la dette. Or, la moitié des emprunts dans les grandes villes, à Liverpool, par exemple, où ils s’élèvent chaque année à 10 millions de francs, ne sont pas supérieurs à 2 shillings.

À New York, où le mal était identique, quelques capitalistes, émus de cette situation, se réunirent en 18 ! M pour créer une concurrença aux pawn-brokers. Ils fondèrent à cet effet une banque, dont les bénéfices très réduits sont répartis entre les actionnaires, et qui perçoit uniformément 12 pour 100 sur tous les prêts, quels qu’en soient le montant et la durée, au lieu des 24 et