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dans les forêts de la Pensylvanie. Il eut d’elle trois fils, les éleva paisiblement, et s’éteignit en 1857, avec la sérénité d’un juste qui pouvait regarder derrière lui quatre-vingt-quatorze années de vie sans y retrouver autre chose que des actions courageuses, des devoirs remplis, un dévouement indéfectible à des principes dont il n’avait jamais douté.

Ne cherchez pas dans les Mémoires des « morceaux » littéraires, ni des spéculations de philosophie politique. Un honnête homme les a écrits sans prétention, pour témoigner de sa foi et des actes qui l’ont servie. Cet écolier fit ses humanités en croisière aux Antilles, dans la guerre contre les Anglais. « J’eus, près de la Barbade, mon premier combat naval. J’avais alors quatorze ans et demi. » Ses maîtres d’école s’appelaient La Motte-Picquet, d’Estaing, Suffren. MM. les officiers du corps de la marine n’ayant pas adopté les idées des parlementaires, dit d’Andigné, il suivit ses camarades dans l’émigration. Ce corps formait, sous les ordres de M. d’Hector, un régiment spécial à l’armée des princes. Il y fit peu de besogne et notre lieutenant de vaisseau n’y rencontra que dégoûts. Sur le rôle et les chances des émigrés, sur la façon dont l’Europe se jouait deux, cet esprit juste avait d’instinct les vues que Joseph de Maistre développait dans ses admirables Considérations : « Une des lois de la Révolution française, c’est que les émigrés ne peuvent l’attaquer que pour leur malheur, et sont totalement exclus de l’œuvre quelconque qui s’opère. » Le loyalisme enchaînait ce soldat sous le drapeau de la marine royale, transporté à Bonn : son cœur était resté en France. Il eut dès Je premier jour les sentimens dont témoigne une lettre de la baronne de Montet, écrite de Vienne en 1813 : « M. d’Andigné sourit amèrement, lorsqu’il entend annoncer une nouvelle défaite des Français. Il écoute quelques instans le récit de la bataille perdue, mais il ne peut le laisser achever. Il s’échappe de son cœur tout français un doute qui a l’accent de l’espérance, ou un cri qui a celui du désespoir. » Seul entre les chouans, il se défia toujours du secours anglais d’où les autres espéraient leur salut. Il n’en attendait, que mécomptes : il revient à maintes reprises sur les intentions de l’Angleterre, qui sont d’affaiblir la France sans aider sérieusement les Vendéens. C’était d’un soulèvement du sol natal que devait sortir à son sens la victoire de sa cause.

Dès qu’il en eut la facilité, d’Andigné se jeta dans une barque