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plus d’éclat, un éclat plus perçant au premier rayon de l’aurore. Quant au monologue de Faust, il est l’expression, et la progression aussi, d’un état défini par Goethe en ces termes : « La forte résolution de tendre toujours au plus haut degré de l’être. » Peu de musiciens ont rendu comme Schumann la tension et la tendance, l’aspiration innassouvie et le douloureux désir. Or, c’est de tout cela que l’âme de Faust est faite ; c’est de tout cela que son chant est sublime, de tout cela que retentit sa voix et qu’elle tremble. La vie, ardemment convoitée, âprement conquise ; l’être, évanoui, hélas ! aussitôt qu’apparu, voilà le thème philosophique et moral que cette musique développe ; voilà la raison de ses défaillances, aussi vraies, aussi belles que ses transports.

Étudiez dans le poème de Goethe et dans les commentaires de Caro le personnage de Faust et la perpétuelle antithèse qui le constitue : « Que ces formes, dont la nature est remplie sont harmonieuses ! Que la beauté est belle ! Mais, hélas ! avons-nous le temps seulement de la contempler ?… La lumière, qu’adorait Goethe, la lumière, cette gloire sensible de Dieu, combien d’obstacles l’arrêtent et la brisent ! Elle ne remplit que la moitié de la vie humaine, elle n’embellit qu’une faible partie du monde, elle n’éclaire la terre que par ses surfaces. Quel vaste et profond empire elle laisse à la nuit, aux ténèbres !… Partout où se manifeste dans le monde la puissance créatrice, une ombre se lève à côté, qui limite cette puissance et dans une certaine mesure l’anéantit[1]. » Méditez cet éternel débat, ce partage éternel des choses et de nous-mêmes. Ouvrez ensuite, aux pages correspondantes, la partition de Schumann. Lisez à leur tour ces chants, d’abord contemplatifs, et que peu à peu l’énergie, l’enthousiasme inspirent. Arrêtez-vous au passage, émouvant entre tous, où se fait dans la musique une soudaine rupture, où s’ouvre comme une parenthèse, triste jusqu’à la mort. La voix, qui se donnait tout entière, brusquement se dérobe et se tait. Des accords, mélancoliques résonnent seuls longuement. Ce n’est rien : quelques mesures à peine. Mais, après toute la grandeur de Faust, et tout près d’elle, c’est toute sa misère. C’est toute son âme, que le poète, et son commentateur après lui, nous rendaient intelligible seulement, et que le musicien nous rend sensible, à des profondeurs où ni Caro ni peut-être Goethe lui-même n’avaient atteint.

La seconde scène, entre Faust et le Souci, forme un degré plus haut et plus ferme dans l’évolution morale du personnage. Ici encore

  1. Caro, op. cit.