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Waldeck-Rousseau a répondu que cela était impossible. C’est fort bien. Il faut lui en savoir gré. Mais, les délégués lui ayant demandé en outre de déposer sur-le-champ des projets relatifs aux retraites ouvrières et à la réduction des heures de travail, il a pris l’engagement de le faire. Que le gouvernement dépose ces projets, rien de plus légitime ; ils méritent sans doute d’être étudiés ; ce que nous déplorons, c’est qu’il le fasse sous l’injonction des grévistes, comme s’il en avait eu besoin pour prendre sa détermination ou pour l’exécuter. Voilà ce qui est grave, et ce qu’on n’avait pas encore vu. Récapitulons. Quand des ouvriers se mettent en grève, ce qui est leur droit, encore ne devraient-ils le faire que pour des motifs de l’ordre professionnel. Ces motifs, ils devraient les discuter avec leurs patrons, et non pas avec le président du Conseil. Quand ils introduisent celui-ci, qu’on nous passe le mot, dans leur jeu, ils commettent un abus. Quand le gouvernement s’y prête, il commet une faiblesse. Mais que dire lorsque c’est au gouvernement lui-même, ouvertement, directement, impérieusement, que les ouvriers dictent des conditions ? Que dire lorsqu’ils obligent les pouvoirs publics à légiférer sur l’heure et dans un sens déterminé ? Que dire lorsqu’ils font cela sous l’intimidation d’une grève partielle déjà ouverte, et sous la menace d’une grève générale prochaine ? C’est pourtant là ce que M. Millerand a appelé dans son discours, par un merveilleux euphémisme, « la manifestation d’un phénomène économique général dû à des causes économiques générales. » En d’autres termes, c’est le progrès. Nous lui laissons cette explication.

Quant à la grève de Marseille, elle est doublement déplorable, aussi bien dans sa cause que dans ses effets, et, si elle se prolonge, elle nous donnera, par le nombre des industries qu’elle atteint, un avant-goût de ce que pourra être la grève générale. On sait comment elle est née. Il y a deux syndicats à Marseille, un syndicat international qui comprend beaucoup d’étrangers, presque tous Italiens, et un syndicat français. C’est le premier qui a fait la grève. Pourquoi ? Parce qu’il voulait et n’obtenait pas le renvoi d’un certain nombre de contremaîtres qui, dans leurs embauchages, donnaient la préférence aux ouvriers français sur les ouvriers italiens. Certes, nous sommes partisans autant que qui que ce soit de l’admission large et hospitalière des ouvriers étrangers chez nous, et nous avons souvent protesté contre la malveillance qu’on leur témoignait quelquefois ; mais est-il admissible qu’ils viennent faire la loi chez nous, et que, non contens de la place que nous leur attribuons, ils veuillent occuper celle de nos