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précieux à la fois dans la flore des Alpes françaises. Pas un arbre des forêts, pas une fleurette des prairies qui n’ait ici son histoire, et sur ce mur d’entrelacs, dont chaque panneau couvre les armoires des archives féodales, sont inscrites et peintes les armes des comtés qui relevaient du Dauphiné : France-Dauphine, Vienne, Valentinois, Clermont, Montbel, La Tour-du-Pin, Béranger, Sassenage, Monteynard, Saint-Paul-Trois-Châteaux et la cité de Vienne, avec sa belle devise, Vienna Civitas Sancta. Il n’y a rien de plus noble.

Grenoble est une ville militaire. Elle inscrit sur ses fastes le nom d’un grand général, Lesdiguières, et le plus beau nom de soldat français, Bayard. Lesdiguières est le véritable type de l’Allobroge, gardien des passes, toujours en montée et en descente, d’Italie en France et de France en Italie, maître chez lui de par le roi, mais ayant toujours sa volonté et son idée à lui, brave et fin, souple et résistant, la tête bonne, le pied sûr, âpre au gain, plein de prudence et de sens, ne jouant que pour gagner et ne se battant que pour vaincre. Comme tous les montagnards, comme tous les gardiens des frontières, il resta fidèle, avant tout, à la cause nationale, et cet esprit réfléchi quitta sa religion pour ne pas quitter son roi. Bayard, lui, est le fidèle parmi les fidèles. Il ne fut rien que soldat ; il ne sut rien que servir ; il ne fit rien que se battre et mourir. Ce n’est ni un grand capitaine, ni un administrateur, ni même un chef, c’est un homme qui donne sa vie entière pour le salut et la grandeur des gens « dont il est. » Son nom définit le caractère du soldat par la vertu maîtresse : l’abnégation. Qu’il ait fait chevalier le roi François Ier, qu’il ait été blessé à Brescia, qu’il ait eu sa fameuse rencontre avec le connétable de Bourbon, coin me le veut la légende, plus forte que l’histoire, qu’il soit mort en combattant, tout cela, il le fallait pour que le type fût complet. On n’effacera jamais, dans ce pays, le souvenir et la portée symbolique d’une physionomie comme celle du bon et grave chevalier dauphinois.

Arrêtons-nous sur le quai, le des tourné à la citadelle qui garde l’entrée de la ville et dont les ombrages répandent sur le parapet blanc leur fraîcheur profonde. La rivière coule et bondit sous les cinq ponts, entraînant, dans son déroulement hâtif, le tumulte froid des eaux de la montagne. En haut, surplombant comme un obstacle, c’est la Bastille. Elle écrase la ville. Ses jardins, ses murs, ses tours, ses redans, l’ensemble de ses