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ouvrages à la Vauban s’étagent sur la colline et soutiennent la belle terrasse qui a le regard au loin sur la vallée. C’est là que veillait la prudence des Dauphins et l’autorité des rois. C’est là que Stendhal promenait ses premiers rêves ambitieux ; c’est de là, et non de Verrières, que Julien Sorel est parti, fils des montagnes, qui devait se perdre au labyrinthe des villes. De là, on domine cette porte de Bonne où l’Empereur manqua d’être étouffé, au retour de l’île d’Elbe, par le flot populaire qui se précipitait sur lui.

La masse énorme de terre soulevée autour de Grenoble, dans l’immense cirque qui l’environne, fait à la ville un gigantesque rempart bleu. Montons. La liane des chemins court sur la montagne et rattache les unes aux autres les pentes et les vallées qui, de partout, descendent vers la ville. Au flanc des coteaux, la vigne monte ; la verdure invite aux haltes fraîches ; les champs s’étalent en damiers sombres ou dorés ; les murs blancs des villas et les toits de tuile rient parmi les vergers. Le sommet est si près ; on le toucherait du doigt. Au détour du chemin, quelque forte fille aux yeux clairs nous tendra un verre de l’eau, claire comme ses yeux, qui partout court et bruit. Montons.

La rampe est rude en plein soleil. Une brume lumineuse couvre la vallée. Le chemin cuit le visage. La poussière dessèche la gorge. Le gazon brûlé glisse sous le pied. Voici la diligence, chargée en l’air, vide au dedans. Tout souffle et souffre. Les fronts s’essuient. Le cocher excite ses chevaux de la voix et du fouet. L’attelage à cinq, avec la mule au milieu, tire sur les rênes, les naseaux en sang, et hisse lentement la lourde machine qui geint sur ses essieux.

Il faut mouler encore pour trouver l’ombre des arbres, la futaie, la fraîcheur des noyers, et, enfin, plus haut, la sombre cathédrale des mélèzes et des sapins. Bientôt ils règnent ! Les troncs, comme des cierges luisans, se pressent et se dressent vers le ciel qu’obscurcit le haché de leur feuillage menu. La chute des aiguilles fait le sol roux. Les buissons sont clairsemés d’abord, et puis disparaissent. L’herbe même devient rare ; il ne reste plus que la mousse. Sur le tapis fané, le soleil jette des plaques de lumière qui éclairent, par endroits, la nef silencieuse.

Le silence est vaste. On est très loin. La solitude est lourde à l’homme. Les poumons halettent et respirent de l’angoisse. Plus d’oiseaux. L’oreille voudrait entendre… Voici qu’un bruit