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suivantes. La contradiction qu’il rencontre fait perdre l’esprit au despote, le jette en des rages effroyables, auxquelles succèdent un abattement, des lamentations ridicules. « Il m’a paru dans des agitations si violentes qu’elles visaient à l’égarement… Il m’a dit qu’au dedans et au dehors il souffrait mille persécutions fâcheuses, que la plupart des princes étrangers ne lui parlent que de la ruine de son pays, que son chapitre fait le diable contre lui, que tout est révolté, jusqu’à ses propres frères[1]. » Et ce sont de plus belle des projets chimériques, d’extravagantes propositions, dont Luxembourg, blasé sur ces sottises, prend le parti de faire des gorges chaudes : « Il me dit qu’il avait avis que les ennemis nous défendraient le passage de l’Yssel avec 200 000 hommes, et si je ne voulais pas les aller attaquer ? Sur quoi, lui ayant dit qu’il ne devait pas douter de mon envie pour les battre, il me prit au mot en s’écriant : « Eh bien ! Allons tout droit rompre l’ennemi, et le poussons, où qu’il soit, où qu’il aille ! » Ce sont ses propres termes. » À cette invite inattendue, Luxembourg se contente froidement d’opposer « deux difficultés » : « La première, avec combien de troupes il pensait que nous puissions forcer un passage sur l’Yssel, gardé par 200 000 hommes ? Il me répondit : « Avec 300 000 ! » Sur quoi, je tombai d’accord que, les ayant, je ne ferais point de difficulté de l’entreprendre, et cela fondé sur ce que, avec 300 000 hommes, on peut faire beaucoup de choses[2]. » Quant à la seconde objection : « Comment il s’y prendra pour nourrir tout ce monde ? » l’évêque prie instamment « que l’on ne s’en mette point en peine ; » ses troupes seront toujours contentes, pourvu qu’elles aient assez de pompernickel, » dont il se charge « de ne les point laisser manquer. » — « Je lui laissai faire son petit projet, conclut le duc avec philosophie, sans m’y opposer, pour ne le point aigrir, et parce que je jugeai bien que cela n’arriverait que trop lot. Et nous vînmes à un lieu où nous devions faire l’expérience de ses boulets creux, de ses bombes et de ses grosses grenades, ce qui est pour lui une occupation si agréable, qu’il ne songea plus à autre chose. »

  1. Luxembourg à Louvois, 12 avril 1672. — Arch. de la Guerre.
  2. « Voici le diable sur les 300 000 hommes, raille encore Luxembourg, car, en lui demandant d’où nous les aurions, voici le calcul qu’il me fit : 7 000 hommes de pied qu’il doit fournir, avec 3 000 chevaux et 400 dragons de l’électeur ; 2000 chevaux du Roi et 4000 fantassins : ajoutant que, pour le surplus, il fournirait ce qui était destiné pour garder son pays, soit 10 000 chevaux et 2 000 fantassins », c’est-à-dire un total de 28 400 hommes.