Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/647

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sir Robert Napier d’une promesse formelle de n’occuper définitivement aucun point du territoire abyssin pour obtenir aussitôt la neutralité bienveillante et des secours en vivres du maître du Tigré », Johannès Kassa, et de plusieurs autres puissans princes, parmi lesquels le jeune Ménélik, roi du Choa (aujourd’hui le négus Ménélik II). Les Anglais, en réalité, eurent à lutter moins contre l’Ethiopie elle-même que contre, un usurpateur abhorré des grands, abandonné du haut clergé et redouté du peuple. Si Théodoros, au lieu de s’enfermer à Magdala, eût entraîné avec lui vers l’intérieur ses fidèles et ses captifs, la situation de sir Robert Napier serait devenue très critique. Il savait qu’à Magdala, il n’était encore qu’au seuil de l’Ethiopie, et il n’ignorait pas que, dans un pays aussi passionné pour son indépendance, un soulèvement général était toujours à redouter et pouvait aboutir à unir promptement contre l’envahisseur toutes les fractions de la nation. Aussi, dès que l’honneur britannique fut vengé, le général en chef, devenu lord Napier of Magdala, reprit-il sans aucun délai le chemin de la côte pour y ramener son armée épuisée. Un pareil désintéressement, si peu conforme aux traditions politiques de la Grande-Bretagne, est un indice certain qu’elle avait mesuré les difficultés d’un établissement définitif et reculé devant la menace d’une explosion du patriotisme national. L’expédition de lord Napier n’a pas eu, en somme, d’autre résultat que de laisser aux Ethiopiens le cuisant souvenir de l’intervention anglaise et de l’invasion du territoire par les étrangers, et d’accréditer en Europe la dangereuse illusion de croire que l’Abyssinie ne saurait résister à une armée occidentale. L’épisode de Magdala, s’il a fait grand bruit dans le monde, n’a pas modifié le cours des destinées de l’Ethiopie ; il n’a été qu’un accident dans son histoire.

Tout autres ont été les conséquences de l’ouverture du canal de Suez. Désormais, la grande route du commerce international vint passer au pied du massif abyssin. D’impasse qu’elle était, la Mer-Rouge devint brusquement le couloir le plus fréquenté du monde et, du coup, elle prit une importance internationale qu’elle n’avait jamais connue. L’Ethiopie, voisine tempérée de ces rivages torrides, attira davantage l’attention des étrangers, et son rôle dans le monde grandit. L’Angleterre, qui, dès 1838, avait pris pied à Aden, se hâta d’occuper l’île de Périm, et de confisquer à son profit la clé de la nouvelle route des Indes. Mais l’heure de