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l’ardente concurrence économique et coloniale n’était pas encore venue ; les choses d’outre-mer apparaissaient encore comme très secondaires, sans répercussion possible sur les événemens d’Europe : les relations avec l’empire mystérieux des Négus restèrent intermittentes et, les Anglais exceptés, aucune puissance maritime ne crut nécessaire de fonder un établissement définitif dans les parages de la Mer-Rouge.

L’Egypte, au contraire, plus voisine des montagnes éthiopiennes, encore animée de cet esprit de conquête et d’expansion que Méhémet-Ali et Ibrahim avaient réussi à lui souffler, déjà en contact, sur le Haut-Nil, avec les avant-postes du Tigré et du Godjam, cherchait à étendre sa domination sur tout le bassin du Nil et sur les côtes africaines de la Mer-Rouge ; et, tandis qu’au Caire et autour du canal de Suez les intrigues européennes s’entre-croisaient et se contrariaient, l’Egypte, sur ses frontières, continuait d’être envahissante et entrait en lutte avec les Abyssins. Désormais le sort de l’Ethiopie apparaît, aux yeux de l’Europe, lié à la question d’Egypte ; son histoire se mêle à celle du Nil et, par là, à celle du monde.

Depuis le temps où les Pharaons inscrivaient leurs annales sur les murailles de leurs palais, la guerre et le pillage sont devenus, entre les dominateurs de la moyenne et de la basse vallée du Nil et les habitans des plateaux éthiopiens, une habitude historique dont la nature même et la géographie ont déterminé la naissance et qui s’est perpétuée en haines d’autant plus violentes que la différence des religions est venue les aviver. Razzier les tribus de la plaine, c’est une tentation à laquelle les gens du haut pays ne résistent guère : remonter les fleuves dont ils possèdent les bouches pour en maîtriser les sources, c’est la tendance naturelle aux populations des vallées, d’est au cours de ces perpétuels flux et reflux d’incursions et de représailles que l’idée vint à un négus du XVIe siècle de supprimer d’un seul coup l’Egypte, de la rendre au désert, en creusant ; de Souakim à Berber, un immense canal et en jetant le Nil, créateur et nourricier, du bas pays, dans la Mer-Rouge. Bermudez rapporte, en effet, dans sa relation, que l’empereur l’avait chargé d’une mission auprès du roi de Portugal pour lui demander secours contre les musulmans de Zeïla « et, de plus, des pionniers pour couper une colline par laquelle Eytalé-Bélalé, un de ses prédécesseurs, avait autrefois fait passer le Nil. Il prétendait par là ruiner