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corps d’armée et des gouverneurs de province chargés à la fois du commandement des troupes et de l’administration ; ils sont révocables et ne transmettent pas régulièrement leurs charges à leurs descendans. Quand, dans le courant de 1899, le ras Mangacha, apparemment encouragé par des sympathies, et peut-être par des subsides européens, tenta de se révolter, il suffit au fidèle lieutenant de Ménélik, le ras Makonnen, de marcher, avec une escorte de 3 000 hommes, au-devant du rebelle pour l’obliger à demander son pardon et à venir vivre à la cour, sous les yeux du souverain, une vie moins turbulente ; et cependant Mangacha est le fils de l’empereur Johannès et il commandait dans le Tigré, où son père régnait jadis et où l’on ne voit pas sans quelque dépit le trône occupé par un Choan. C’est un argument, parfois invoqué par des politiques trop prudens, que l’on ne peut conclure aucun pacte durable avec l’Ethiopie, où la mort du souverain remet tout en question et livre le pays à l’anarchie ; en réalité, l’ordre établi par Ménélik est tel que si, à sa mort, quelque compétition éclate entre les chefs d’armée, la lutte sera courte et ne mettra pas en péril l’organisation très forte donnée à son État par le Négus actuel. Le seul danger pourrait venir d’ambitions européennes : attiser un commencement d’incendie, chercher à déchaîner la guerre, et diviser pour régner, seraient d’excellens moyens pour reprendre et réaliser enfin, à la faveur des troubles, des projets jadis avortés, mais non oubliés. Très probablement le ras Makonnen, le cousin et le bras droit « du Roi des rois, » lui succédera sans grandes difficultés[1]. Ce chef, au caractère énergique, à l’intelligence très ouverte, continuera, le cas échéant, avec fermeté, l’œuvre nationale de civilisation et de progrès entreprise par Ménélik.

L’armée éthiopienne a fait ses preuves sur les champs de bataille : sa physionomie, sa composition, ses qualités, ont été très bien décrites ici même[2]. — Armée féodale et nationale, elle est, comme les soldats de la. France d’autrefois, plus brave que régulièrement organisée et disciplinée. Sans briser l’ancienne organisation et les vieux cadres adaptés au tempérament et à la manière de combattre de ses sujets, Ménélik a employé toute

  1. Ménélik et l’impératrice Taïtou n’ont pas de fils : ils ont une fille, mère elle-même d’un fils encore en bas âge, qui semble avoir peu de chances de succéder à son grand-père. Malconnen vient d’ailleurs d’épouser une nièce de l’impératrice.
  2. L’armée de Ménélik, par M. Albert Hans (Revue du 15 juin 1896).