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loisir de réfléchir — et de contredire. M. Boutmy insiste avec raison sur le lien de parenté qui unit l’imagination anglaise à l’imagination hébraïque. Rapprochement gros de conséquences : d’autres observateurs nous y ramèneront, j’y reviendrai après eux. — « La Bible n’a été si populaire que parce que l’imagination hébraïque, avec la profusion de ses figures, la profondeur de ses pensées, la faiblesse de sa dialectique, ses brusques éjaculations, était de même famille que l’imagination anglaise. Il y avait conformité congénitale, en quelque sorte, entre les deux génies. » — Eh quoi ! Au chapitre de « l’imagination créatrice, » l’auteur nous donnait celle de l’Anglais comme le produit nécessaire « d’une atmosphère brumeuse, noyée de pluies, où les contours s’effacent, les reliefs rentrent, les teintes fines se confondent dans un gris uniforme… Dans ces grands corps blancs perpétuellement baignés d’air humide, la sensation s’enfonce plus lentement… L’imagination physique est demeurée tardive et obtuse… Rien de plus opposé à la réceptivité facile de l’homme du Midi… » — Et rien de plus opposé, sans doute, à l’imagination sémitique, née sur le roc et sur le sable, sous un ciel de feu, dans l’ardente lumière. Pourtant, les voilà sœurs ! Aurions-nous trop présumé du pouvoir plastique de la terre et du climat, pas assez du pouvoir éducateur d’un livre tel que la Bible sur la race qui s’en est longuement pénétrée ? — Ailleurs, M. Boutmy rapporte à « un instinct aveuglé et profond de la race anglaise, » l’androlâtrie, le besoin d’incarner l’idée dans un homme, de suivre un chef populaire, d’acclamer un miles gloriosus. Combien de gens et de peuples sont anglais, à ce compte ! Tout ce paragraphe de l’androlâtrie, caractère spécifique de l’Anglais, on pourrait le transcrire sans y changer un mot pour notre France : nous nous y reconnaîtrions.

Si je m’attarde à ces contradictions, c’est qu’elles mettent en cause l’infirmité d’une doctrine, bien plus que la clairvoyance du philosophe. Il use, comme nous tous, de la méthode tenue jusqu’à nouvel ordre pour la meilleure. Nous avons reçu de nos maîtres le système naturaliste et déterministe, il nous fournit des explications pour tous les phénomènes historiques. Il s’écroulera un jour, c’est le sort de tous les systèmes : comme les autres, il laissera sur le sol quelques parties solides, et de grands monumens déserts ; on les admirera pour leur beauté, mais les hommes ne s’y assembleront plus. Des théories nouvelles