Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/691

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expliqueront autrement la formation des individus et des divers groupes humains. Qui sait si elles ne restitueront pas à l’éducation, dans le plus large sens du mot, une part de l’influence que nous attribuons présentement à la terre, au climat, au milieu ? On ne sera pas embarrassé pour trouver des justifications dans la complaisante histoire : et peut-être s’avisera-t-on de la suivante.

Le règne de la reine Victoria eut plus d’une analogie avec celui du roi Louis XIV. Deux longues périodes, sensiblement égales, de grandeur politique et d’heureux développement national. Les Français de jadis prirent dans l’une, comme les Anglais de ce temps dans l’autre, un sentiment orgueilleux de leur primauté sur le monde. Après un demi-siècle et plus de prospérités continues, la fin des deux règnes fut assombrie par des revers militaires. Je n’oublie pas que les nôtres étaient incomparablement plus cruels, aggravés par des calamités de toute nature. Le vieux roi et ses sujets firent ferme dans l’épreuve, avec toute la force dame que nous admirions naguère chez les Anglais ; avec la même ténacité, le même sang-froid, le même esprit de sacrifice, la même confiance dans l’avenir. Quand Louis consolait l’incapable Villeroi, battu à Ramilies : — « Monsieur le Maréchal, à notre âge on n’est plus heureux, » — il exprimait, avec un tour de grâce bien française, les sentimens que nous retrouvons dans les cercles de Londres où l’on acclame Redwers Huiler et Methuen, en dépit de leurs fautes et de leurs échecs.

Ils n’étaient pourtant pas soutenus, ces Français de 1708, par le bœuf saignant, l’ale, les réactions intérieures contre un climat pluvieux, les jeux athlétiques, le confort domestique, l’anglicanisme, le parlementarisme, bref par tous les ingrédiens dont serait pétri, selon la formule, le cœur spécial d’un véritable Anglais. Mais le sujet de Louis avait ceci de commun avec le sujet de Victoria, par-dessous beaucoup de différences : l’éducation d’une saine discipline morale, d’un loyalisme inébranlable, d’une foi religieuse qui conforte les âmes accablées ; l’habitude de se commander à soi-même pour commander aux autres, l’invincible confiance puisée par un peuple dans la tradition d’une grandeur qu’il doit à ses efforts persévérans. Ces ressorts suffisaient, il faut le croire, pour donner dans le malheur une attitude identique à des hommes que les naturalistes estiment si dissemblables.