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leur morale considérable. Toutefois, à moins qu’ils n’eussent reçu de leurs collègues de Marseille des pouvoirs indéfinis, on ne comprenait pas qu’ils eussent pu les fier irrévocablement. Mais quoi ! « Les patrons acceptent. » Cela coupait court à toute hésitation : devant ce texte catégorique, il fallait bien s’incliner.

Une fois saisi du message ministériel, que fit M. Flaissières ? Enchanté, comme on peut le croire, d’une solution aussi favorable à ses vues, il s’empressa de convoquer le syndicat, ou les syndicats, de la grève, car il y en a plusieurs. Séance tenante, la proposition d’arbitrage fut acceptée, mais sous réserve que cette acceptation serait ratifiée par la réunion générale des grévistes. Simple formalité, d’ailleurs : on était bien sûr d’obtenir la ratification de l’assemblée générale, et on l’obtint en effet en quelques heures. Aussitôt une détente se produisit à Marseille : on se considéra comme à la veille du dénouement. Les ouvriers, qui ne s’attendaient certainement pas à une victoire aussi rapide et aussi complète, étaient enchantés et s’efforçaient seulement de ne pas trop le montrer. Leurs conversations avec le préfet se ressentirent de ces dispositions optimistes : ils réclamèrent, et même sur un ton assez impérieux, le retrait des troupes qui avaient été réunies à Marseille en nombre considérable, trop tard pour prévenir des désordres et des violences graves, mais assez tôt peut-être pour en empêcher le retour. Le préfet, M. Grimanelli, se montra embarrassé, ce qui paraît être d’ailleurs son attitude la plus habituelle. Il sentait bien qu’il ne pouvait pas personnellement ordonner le retrait des troupes, ni même le proposer au ministère sans prendre une responsabilité très lourde. D’autre part, il regardait l’arbitrage comme acquis, et dès lors la grève comme virtuellement terminée. Inquiet d’un côté, rassuré de l’autre, il promit, sinon de retirer les troupes, au moins de les « dissimuler : » mot digne de faire fortune, car il peint une situation et révèle un caractère. Pendant plusieurs jours, une sorte de terreur avait pesé sur la ville. A diverses reprises, des gens venus des quais avaient annoncé, affolés, que la révolution commençait, et les magasins s’étaient fermés brusquement. La nouvelle était exagérée, ou prématurée. Néanmoins des rixes nombreuses avaient eu lieu. La force publique avait été l’objet d’agressions brutales, où le sang avait coulé. La circulation dans les rues était devenue dangereuse. La grève s’était étendue, ou avait été étendue de force au personnel des voitures et des tramways. Seule, la présence des troupes avait un peu rassuré les esprits inquiets. C’est le moment choisi par le préfet pour promettre de les dissimuler : les