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grévistes ne pouvaient, paraît-il, pas les voir sans être froissés dans leur amour-propre. La promesse a été tenue, et si bien, que les troubles ont recommencé aussitôt. Mais n’est-ce pas ce que voulait le maire, et ne fallait-il pas effrayer un peu les patrons pour les amener à composition ?

Quant au préfet, les bonnes nouvelles qu’il avait reçues l’avaient pleinement rassuré. Les ouvriers venaient d’accepter l’arbitrage ; les ouvrières l’avaient fait avant eux ; dès lors, que pouvait-on craindre ? Il n’y a qu’un malheur, c’est que les patrons n’avaient rien accepté du tout. Lorsque MM. Féraud et Estier, partis de Paris, sont arrivés à Marseille et qu’on leur a demandé des explications sur l’engagement qu’ils avaient pris, ils ont protesté qu’ils n’en avaient pris aucun, et que rien, dans leurs conversations avec MM. Waldeck-Rousseau et Millerand, n’avait permis de croire le contraire. On se rappelle le mot de Basile, dans le Mariage de Figaro : « Qui trompe-t-on ici ? » Tout le monde a dû se le poser à Marseille. Y avait-il malentendu ou mystification ? Le préfet télégraphia à Paris pour savoir ce qu’il devait en croire, et il faut avouer que sa situation était cruelle. Enfin, à minuit, il reçut du ministère du Commerce le télégramme qui suit : « On me communique, disait M. Millerand, votre dépêche à l’Intérieur, où-vous rendez compte visite maire et députés. Je n’ai téléphoné à personne aujourd’hui à Marseille. » En lisant ce début, M. Grimanelli a dû être en proie à une véritable stupeur. Quoi ! M. Millerand n’avait téléphoné à personne ? D’où venait donc la communication faite à M. Flaissières, à la suite de laquelle les ouvriers avaient été convoqués en grande hâte pour accepter l’arbitrage ? Et quel était ce mystère ? Mais voici la suite : « Un de mes attachés a, en effet, téléphoné à midi au secrétaire général mairie pour lui demander s’il pensait que l’arbitrage portant sur délimitation des questions qui feraient objet de conférence contradictoire serait accepté par les ouvriers. Rien de plus. Cette communication était la conséquence de l’entretien qui a eu lieu ce matin au ministère de l’Intérieur, et dont M. le président du Conseil vous a probablement entretenu… Il m’a paru utile de vous préciser ces renseignemens qui vous mettront au courant de la situation vraie. » A mesure qu’il lisait cette dépêche, l’étonnement de M. Grimanelli a dû augmenter graduellement, et aussi sa perplexité. Il avait cru l’arbitrage accepté par les patrons, et toute sa conduite s’était inspirée de cette pensée : il apprenait tout d’un coup que les patrons n’avaient encore rien dit. D’où lui était venue la nouvelle ? De la mairie de Marseille. Et de qui la mairie de Marseille la tenait-il ? D’un attaché de M. Millerand.