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mécontentement des satires, des brocards que renferment les pièces de théâtre faites à l’occasion du 18 Brumaire. Deux membres de la section d’inspection se rendront auprès du ministre de la Police pour l’engager à défendre les pièces qui peuvent porter atteinte au respect dû à la représentation nationale. »

Le pouvoir consulaire n’avait pas attendu cette espèce d’interpellation pour se déclarer plus nettement, par organe autorisé. Dès la veille, devant la commission, Cabanis, qui aimait à se poser en orateur et haut patron du gouvernement, avait solennellement répudié, au nom des Consuls et de leurs amis, toute idée de réaction. Il rappelle que le 18 Brumaire a été et doit rester le coup d’Etat des modérés ; avec une complaisance un peu naïve, il félicite ce parti, dont il est l’un des coryphées, d’avoir fait preuve pour une fois d’initiative vigoureuse, et il semble oublier que le geste péremptoire de Murat et de Leclerc, que les baïonnettes des grenadiers ont appuyé fort à propos une audace défaillante : « Vous leur avez prouvé, dit-il en parlant des factieux et fanatiques de tous bords, — que les modérés savent oser quand il le faut ; vous leur montrerez maintenant ce que doit être l’énergie de la modération après la victoire. »

Le gouvernement ne se borna pas à ce manifeste ; il y joignit des actes. A l’égard des théâtres, une mesure radicale fut enfin prise : interdiction de toutes les pièces « dont le titre semblerait relatif aux événemens de Brumaire, » ordre de soumettre à l’examen préalable de l’administration toutes les pièces « relatives à la Révolution, à quelque époque qu’elles aient été mises au théâtre[1]. » La police fit disparaître des étalages les caricatures de députés ; le rapport par lequel le bureau central rendait compte de ses opérations porte même : « Il a fait défendre aux chanteurs de vendre ni chanter dans les rues et les-places publiques des chansons relatives aux événemens de Brumaire et injurieuses à la représentation nationale[2]. » Le silence fut prescrit sur les scènes de l’Orangerie et « le déménagement des Cinq Cents. » Il semblait que le Consulat voulût à tout prix faire oublier aux républicains formalistes la violence de son avènement et se laver de la tache initiale ; c’était la première fois qu’on voyait un gouvernement renier ses origines et défendre d’en parler.

  1. Archives nationales, AF, IV, 1329.
  2. Ibid.