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Contre les attroupemens réactionnaires, le général Lefebvre lança une proclamation sévère, ordonnant à la troupe de dissoudre ces rassemblemens par la force, après avoir fait au préalable les sommations légales, après avoir invité « les gens honnêtes et les curieux à se retirer. » Les imprudences de la chaire furent réprimées, l’évêque Royer rappelé à la modération, cependant que les Consuls commençaient à rapporter les arrêtés de déportation pris par le Directoire contre de malheureux prêtres. Des avis affichés instruisirent les habitans que les lois républicaines demeuraient intégralement en vigueur, que les propagateurs de bruits contraires seraient traduits en justice : « Il a été dressé des procès-verbaux contre un grand nombre de marchands dont les boutiques étaient ouvertes les décadis[1]. » Enfin, pour bien montrer que le gouvernement restait à gauche et n’entendait plus trouver de coupables parmi les républicains, les consuls révoquèrent leur arrêté de déportation contre les soixante-quatre Jacobins, en le remplaçant par une simple mise en surveillance. Cette rétractation prit motif d’un rapport rédigé par Cambacérès, commandé par Bonaparte, et concluant à l’oubli d’erreurs passagères : « C’est à la justice, avait dit le consul, à réparer les sottises de la police. » Il n’en restait pas moins que Fouché avait habilement mené son jeu, puisqu’il avait rassuré Sieyès en dressant une liste de proscrits, et facilité à Bonaparte, par l’exagération des mesures prises, le moyen de les annuler et d’affirmer une politique de concorde républicaine.

Tous les actes destinés à enrayer le mouvement de réaction furent publiés presque à la fois, entre le 30 brumaire et le 6 frimaire, pour faire masse et mieux frapper Paris. En même temps, des paroles officielles s’adressaient à la France ; les ministres de l’Intérieur et de la Police envoyaient l’un et l’autre à leurs subordonnés et faisaient répandre une circulaire portant garantie contre le retour des émigrés, contre la prédominance d’aucun culte ; Fouché laissait toutefois entrevoir aux différens cultes chrétiens, persécutés sous le Directoire avec des raffinemens d’hypocrite tyrannie, protection et droit commun. Dès le 29 brumaire, les consuls avaient décidé de prendre contact avec les départemens par l’envoi de délégués spéciaux ; ces légats s’en iraient présenter l’événement de Brumaire sous son véritable jour, et

  1. Bureau central, rapport sur nivôse, Archives nationales, AF, IV, 1329.