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épingle sa jupe à sa ceinture et s’enveloppe dans un grand manteau blanc. Ainsi équipée en cavalier, elle va rejoindre un galant qui l’attend hors du palais. Or, ce galant est, précisément, William Herbert, qui a un an de moins qu’elle et qui commence sa carrière de Don Juan. En février 1601, elle se déclare grosse de ses œuvres. Grand scandale ; fureur de la reine, qui jure ses plus forts jurons. Le jeune homme avoue la paternité et refuse d’épouser ; sur quoi on les conduit tous deux dans des prisons différentes. Mary eut encore deux bâtards d’un autre père. Après quoi elle rencontra un capitaine, homme sans préjugés, qui lui donna son nom.

Ressemble-t-elle au portrait que Shakspeare nous fait de la Dark lady ? Par une étrange ironie des choses, que n’ont même pas aperçue les commentateurs dans la fièvre de leur recherche, c’est à une statue funèbre, agenouillée sur une tombe dans une église de village, que nous devons demander le secret des amours de Shakspeare, car c’est la seule image authentique qui nous reste de cette fantasque personne. Et la pauvre statue mutilée, sans mains, le bout du nez cassé, dépouillée par le temps de ses couleurs primitives, répond très peu et très mal à nos curiosités. M. Tyler voit des traces certaines d’une peau brune et d’une chevelure noire, là où d’autres observateurs ne voient rien ou, encore, voient tout le contraire.

Une objection se dressait. Mary Fitton était une des filles d’honneur de la reine. Comment concilier cette situation avec certain sonnet où le poète dit à sa maîtresse qu’elle est deux fois infidèle, puisqu’elle a violé sa foi envers lui comme elle a violé sa foi conjugale ? Et voici qu’un clergyman (le singulier clergyman qui fouille l’état civil des drôlesses d’il y a trois siècles ! mais nous devons le remercier quand même), le révérend Harrison, a découvert que Mary Fitton avait été mariée une première fois, ou quasi mariée, à un certain Lougher, mais que, pour une raison inconnue, ce mariage avait été invalidé. Le vers de Shakspeare sur la foi conjugale trahie ne serait donc qu’une taquinerie, en harmonie avec le caractère léger de quelques-unes de ces pièces.

Tout cela est suffisant pour nous permettre de croire que Mary Fitton a pu être la maîtresse du poète, mais non pour nous démontrer qu’elle l’a été véritablement. Nous savons qu’un des camarades de Shakspeare, le fameux bouffon Kemp, l’homme