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à prendre femme : or, lorsque le jeune William Herbert vint à Londres pour la première fois, en 1598, à l’âge de dix-huit ans, au sortir de l’Université, ses parens avaient déjà essayé de le fiancer à une enfant de quatorze ans, petite-fille de lord Burleigh. Mariage d’intérêt et d’ambition, qui souriait peu, j’imagine, à l’ardent jeune homme, avide de liberté et de plaisir. Moitié camarade, moitié mentor, il eût bien été dans le rôle de Shakspeare d’appuyer les combinaisons matrimoniales d’une grande famille par des argumens esthétiques. Quoi qu’il en soit, le jeune comte ne se maria pas plus que l’adolescent des Sonnets ne semble l’avoir fait. Il se jeta dans des dissipations qui justifieraient fort bien certains passages des poèmes que nous étudions. Il devint le point de mire des gens de lettres en quête d’un puissant patron. Et là encore, — que l’on identifie avec Chapman, ou avec tout autre, le poète de haut bord devant lequel- Shakspeare s’efface avec une ironique humilité, — William Herbert, comte de Pembroke, semble s’adapter assez bien au mystérieux personnage que nous cherchons.

Mais ce qui fait surtout de lui un rival dangereux pour Southampton, c’est qu’on voit émerger de l’ombre avec lui une curieuse créature à laquelle vont comme un gant, du premier coup, tous les attributs de la Dark lady ; défauts et grâces, laideurs et séductions, et tous les élémens de charmante perversité dont cette femme est faite. Elle s’appelle Mary Fitton ou Fytton. Elle est bien née et, à quinze ans, elle entre à la Cour comme demoiselle d’honneur d’Elisabeth. A la Cour, elle prend sa part, et une part importante, dans tous les divertissemens. Certains Mémoires du temps nous la font voir par échappées. Un soir que la reine soupe chez lord Cobham, elle parait dans un Masque où elle conduit un quadrille allégorique. Elle porte une jupe pailletée d’argent, et ses cheveux, dénoués, flottent sur ses épaules. Elle s’approche de Sa Majesté et l’invite à danser. « Qui êtes-vous ? » demande la reine. « Je suis Affection, » répond la jeune fille. « Affection est une menteuse, » reprend Elisabeth. Pourtant elle se lève et se mêle aux danseurs, car elle est encore vaine de ses talens chorégraphiques, et c’est vers ce temps qu’elle montre sa jambe au duo de Biron, l’ambassadeur de France, pour qu’il en décrive les contours au roi, son maître, dans une dépêche diplomatique.

D’après un autre Journal, Mistress Mary Fitton, lorsque la fantaisie lui en prend, défait sa coiffure, féminine, retrousse et