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que le marbre et le bronze, plus précieux et moins vivans, n’exhalent pas.

« Il y a, disait un jour M. Brunetière, des définitions qui ne sauraient être trop étroites ; il y en a d’autres dont il est bon, nécessaire même de laisser un peu flotter les termes. » Et sans doute la définition du réalisme en musique est de celles-ci. Mais de celles-ci même il n’est pas mauvais non plus que parfois on essaye au moins de serrer les termes et, s’il se peut, de les rassembler. Un de nos confrères anglais, M. Shedlock, a distingué finement, dans la musique, la practical et la poetical basis : autrement dit, la technique et le sentiment. L’une et l’autre, chez Moussorgski, présentent le même caractère ; l’une et l’autre se correspondent et se commandent. Et c’est d’abord dans la technique, c’est en chacun des élémens spécifiques de cet art que nous allons trouver l’influence et comme le sceau de la réalité.

Chez Moussorgski la mélodie elle-même est réaliste, et voici comment. Ecoutons encore Cherbuliez : « Entre deux objets similaires, le réaliste choisira celui qui semble le plus rapproché de la nature, en qui son empreinte est le plus visible. Il s’intéresse passionnément à ce qu’on pourrait appeler les formes vierges, aux existences qui gardent encore leur pureté, aux êtres qui ont été le moins modifiés par des combinaisons et des mélanges factices. » C’est dans cet ordre de choses et d’êtres, que Moussorgski choisit non seulement, comme nous le verrons bientôt, ses personnages, mais — en prenant le mot au sens musical — ses idées. Il cherche, il trouve aussi près que possible de la nature ? son modèle et son inspiration, les figures humaines et les figures sonores. Sa mélodie, comme ses héros préférés, est essentiellement populaire. En elle-même, à elle seule, elle apparaît beaucoup moins comme une œuvre de réflexion et de volonté que comme une production spontanée et libre. Elle n’a rien de la mélodie classique : ni les proportions, ni la périodicité, ni la symétrie. Elle est aussi peu que possible un organisme et un système. Elle ne se répète pas et, jamais elle ne revient sur soi. Elle chante toujours, mais rarement par couplets. Elle supporte mal qu’on la démembre ou qu’on la démonte, et, difficile à définir, elle est impossible à diviser. Elle commence et s’achève à sa guise ; elle a de singuliers départs et des cadences imprévues. Je ne vois aucun type musical, allemand, italien, français, où je