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Charlotte a mérité d’être récompensée : elle le sera au dernier acte. Julien, poursuivant sa veine, a été élu député. Mais, dans son appartement solitaire que Charlotte a quitté, où cette coquette de Simone n’est pas encore venue, il se sent troublé, mal à l’aise. Que lui manque-t-il ? Comment faire rentrer la sécurité dans son âme et le bonheur à son foyer ? Il n’y a qu’un moyen, et la bonté clairvoyante de Joséphine s’en avise aussitôt. Tous ces gens-là sont pleins de bon sens et de fine sensibilité. La bonne Joséphine et l’excellent Edmond comprennent avec la divination du cœur que Julien ne peut vivre sans Charlotte. C’est pourquoi Joséphine ramène Charlotte. Le malentendu est vite dissipé : Julien n’a jamais aimé que Charlotte, Charlotte n’a jamais aimé que Julien. Ils s’épouseront et ils auront la bénédiction du couple Joséphine-Edmond Tourneur. Des esprits chagrins ont voulu trouver dans ce dénouement idyllique matière à chicane. Il est excellent ; sans lui, l’œuvre ne serait pas complète.

Après avoir analysé par le menu les quatre actes de la Veine, quelques-uns ont eu vaguement conscience que ce qu’ils venaient de conter à leurs lecteurs risquait de sembler assez plat et singulièrement pauvre. Mais leur foi n’a pas été entamée par ce soupçon. « Car, ont-ils dit, c’est la pièce elle-même qu’il faut entendre. Tout le mérite est dans l’exécution, toute la valeur est dans l’agrément du dialogue. Il y a de l’esprit et encore de l’esprit ! » Il est hors de doute que M. Capus a beaucoup d’esprit ; et cela ne fait pas question. Mais puisqu’on a tant reproché à Scribe et à M. Sardou d’avoir agrémenté le dialogue de leurs comédies de plaisanteries qui ont traîné partout, d’où vient qu’on fait un mérite à M. Capus d’en user de même ? Il y a à toute époque un moule commun où la plaisanterie va d’elle-même prendre forme, des procédés ou des tics que se repassent indifféremment tous les auteurs gais, un tour de blague que prend insensiblement la conversation entre gens qui aiment à rire. Je regrette qu’un homme d’autant d’esprit que M. Capus ne se soit pas, dans le dialogue de la Veine, élevé au-dessus du niveau de cette sorte de drôlerie à l’usage de tous.

La Veine est en soi un ouvrage des plus insignifians et qu’il serait tout à fait injuste de juger avec sévérité. C’est une pièce d’une agréable banalité et qu’il convenait d’applaudir gentiment. Elle ressemble à dix autres comédies taillées de même à la mesure d’un public peu exigeant. M. Capus ne s’y est pas mis en frais d’invention. C’est un succès au meilleur marché. Si vous me demandez comment s’explique ce succès si disproportionné, ce sont là des mystères que je laisse à de