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plus ingénieux que moi le soin d’éclaircir. Mais ce succès valait la peine d’être noté. IL nous renseigne assez bien sur l’état d’esprit des quelques centaines de Parisiens qui, en écoutant la Veine, y ont trouvé avec de pures jouissances artistiques les douceurs de l’attendrissement. C’est un document à l’usage de ceux qui sont curieux de connaître l’âme falote et crépusculaire de nos bons boulevardiers. C’en est un aussi sur la façon dont se font aujourd’hui les réputations. Et j’avoue qu’il n’y a rien là de fort encourageant pour les écrivains qui seraient tentés de porter au théâtre un peu de vérité, de poésie, de fantaisie, de tendresse, d’émotion juste, et d’originalité d’esprit.

La Veine est jouée par des comédiens habiles et chers au public. Mlle Jeanne Granier est excellente dans le rôle de Charlotte Lanier, et M. Guitry dans celui de Julien Bréard. M. Albert Brasseur est, comme toujours, le plus réjouissant des pitres. Mlle Lavallière est d’une amusante gaminerie. La belle Mlle Lender était toute désignée pour le rôle de la belle Simone.


M. Vandérem nous avait donné naguère une comédie un peu trop subtile, mais d’ailleurs d’une jolie note et d’un tour délicat. Sa nouvelle comédie, la Pente douce, n’est certes pas inférieure. L’idée qu’il s’est proposée est une idée de moraliste ; elle est fort juste. La voici, telle que le raisonneur de la pièce nous l’expose dès le début. Dans l’amour coupable, il y a des gens qui vont tout de suite au dénouement : ils ne cherchent que le plaisir, ils le cherchent délibérément, et se hâtent de le trouver sans s’embarrasser de scrupules. D’autres, qui se croient en droit de mépriser les premiers et se tiennent pour de très honnêtes gens, se promettent de faire une belle défense. Ils se jurent à eux-mêmes qu’il est telles vilenies auxquelles ils ne se résoudront jamais, tels compromis qu’il leur répugnerait trop d’accepter. Pourtant ils s’engagent sur la pente ; ils y glissent insensiblement. Toute pente mène à un précipice. Le terme d’arrivée est le même : si la route a été plus longue. C’est qu’entre le devoir et la faute, il n’y a pas d’entre-deux. Amans qui parlez de la délicatesse de vos sentimens et de votre noblesse d’âme ! tout ce jargon n’est que de mauvaise littérature.

Telle est la thèse ; l’auteur va maintenant nous en présenter la démonstration méthodique. Un certain Clarence, après un gros chagrin d’amour, a été recueilli par ses amis Breysson, qui ont pris à tâche de le guérir. Il est entré dans l’intimité du ménage. La cure morale a fort bien réussi. Elle a trop bien réussi. Clarence est devenu amoureux de