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Geneviève Breysson. Mais il est honnête homme. Il n’est pas de ceux qui prennent la femme de leur ami. Il s’en ira. Il ira très loin, jusqu’en Afrique. Ses malles sont déjà bouclées. Nous savons bien qu’il en sera quitte pour les déboucler, et que pour l’empêcher de partir Geneviève fera le nécessaire. Geneviève et Clarence n’ont plus qu’un moyen de mettre en repos leur conscience d’honnêtes gens, c’est de tout dire au mari. Au dernier acte, nous les voyons très résolus à faire l’aveu libérateur. Puis, devant la douleur vraie du mari, l’un et l’autre ils hésitent, l’aveu expire sur leurs lèvres. Et voilà un ménage à trois qui ressemblera à tous les autres !

Ce dernier acte est très bien venu et vraiment dramatique. Les autres ont paru languissans. Pourquoi ? C’est d’abord que l’auteur a été victime de la gageure qu’il a voulu tenir. Il a prétendu ne nous intéresser que par la justesse de l’observation morale. Donc il n’a employé que des personnages ou conventionnels, comme le raisonneur, ou parfaitement quelconques. Par un surcroit de coquetterie, il nous a, dès le début, averti de tout ce qui se passerait, et il a fixé d’avance toutes les étapes de la route. Il n’a rien laissé à l’imprévu. Nous savons où nous allons et par où nous y allons. Nous sommes arrivés avant que d’être partis. Alors à quoi bon le voyage ? Pour nous intéresser à cette étude de psychologie en action, il eût fallu nous donner sans cesse l’impression que les personnages sont de bonne foi et qu’ils soutiennent contre les scrupules de leur conscience une lutte véritable. Cette impression, nous ne l’avons pas. Nous sommes trop pénétrés de la théorie de l’auteur et trop bien dans son secret. Nous soupçonnons les personnages d’être aussi avertis que nous et de jouer une comédie dont eux-mêmes ils ne sont pas dupes. Ce n’est plus scénique, mais ce n’est même plus vrai. Car il arrive que ces déroutes de la conscience soient réellement tragiques ; si M. Vandérem nous l’eût montré, je ne suis pas sûr que la morale y eût perdu, mais je crois que sa pièce y eût gagné en mouvement.

Mme Réjane a fait les plus louables efforts pour jouer le rôle de Geneviève avec calme et sobriété ; M. Maury a eu des accens de sincérité remarquables dans le rôle du mari ; M. Dubosc a singulièrement alourdi le personnage de Clarence. M. Huguenet, dans le rôle du raisonneur, a été la joie de la soirée.


R. D.