Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 4.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui d’ailleurs est considérée par d’autres chroniqueurs comme celle de Satan lui-même. Il convient donc de ne pas trop discuter à ce sujet. Quoi qu’il en soit, saint Michel, dans cette circonstance ou dans toute autre, aurait ordonné à l’évêque Hubert de bâtir un monastère sur le rocher, qui semble bien avoir été alors en pleine grève et dans des conditions d’approche particulièrement difficiles et souvent redoutables : Mons sancti Michaelis in periculo mortis, immensi tremor Oceani, comme on peut le lire dans tous les actes. À cette époque donc, les hautes mers devaient atteindre la base du mont et l’entourer peut-être complètement. Ce qui est absolument certain, c’est qu’à l’époque romaine la montagne était rattachée à la terre et qu’elle se dressait au milieu d’une immense forêt qu’on appelait Setiacum ou Sisciaccum nemus, la forêt de Scissey, dont on croit retrouver le nom dans la désignation de l’archipel de Chausey, qui était alors rattaché à la terre et formait un promontoire en saillie sur la ligne du rivage. Cette forêt de Scissey, qui aurait pendant longtemps donné asile à de nombreux ermites, se serait étendue d’une part jusqu’à Granville, de l’autre jusqu’à Dol et Cancale. Partout d’ailleurs dans le golfe on en a retrouvé des débris très importans, et, il y a une soixantaine d’années à peine, les arbres enfouis dans le sable étaient encore l’objet d’une exploitation régulière.

On sait d’autre part qu’une ancienne route romaine conduisait d’Avranches à Corseul en traversant la baie. C’est cette route latérale qui se prolongeait de Corseul à Erquy et d’Erquy à Saint-Brieuc et dont nous avons déjà parlé. On voit encore près de Roz-sur-Couesnon le point où elle s’engage et disparaît deux fois sous le sable ; et on en retrouve encore des vestiges sur le contrefort qui sépare en deux anses le fond de la baie, fermée vraisemblablement vers le VIIe ou le IXe siècle[1].

Mêmes phénomènes dans toute la région de Dol, qui, à l’origine de notre ère, était complètement envahie par les eaux. La mer a recouvert autrefois toute la plaine ; et, seule, la petite éminence de Mont-Dol, dont l’altitude est de 65 mètres, émergeait comme une île perdue. L’homme a essayé de reconquérir en partie le domaine que la mer lui avait pris. Dès la fin du XVIe siècle, un bourrelet de sable et de débris coquilliers s’était

  1. K. Kerviler. Voies romaines en Armorique. Paris, 1893.