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formé naturellement à la limite extrême des plus basses eaux. Ce cordon littoral est devenu le point d’appui d’une digue artificielle, œuvre patiente de plusieurs générations, qui aujourd’hui n’a pas moins de 30 kilomètres de développement, s’étendant de Cancale à Pontorson, et vient, après une solution de continuité, s’amorcer au fond du golfe à la pointe de la Roche-Torin, sur la rive gauche de la Sélune. Déjà près de 15 000 hectares ont été transformés en polders. Lorsque la digue sera terminée, — et elle le sera très certainement un jour, — la surface reconquise sera de près de 20 000 hectares. Le Couesnon et la Sélune, dont le cours capricieux et les divagations ont fait tour à tour du Mont Saint-Michel une terre bretonne ou normande, seront alors définitivement fixés, réglés et disciplinés. On ne gardera plus que comme une vieille légende le souvenir de ces terribles enlizemens dans la vase molle des fondrières à peine inconnaissables à vue basse et dans lesquelles disparaissaient quelquefois hommes, voitures et chevaux. L’île du Mont Saint-Michel, déjà reliée à la terre par un mince pédoncule artificiel sur lequel on a établi une chaussée carrossable, fera alors tout à fait partie du continent. Quels que soient les avantages matériels qui pourront en résulter au point de vue agricole, il sera un peu permis de le regretter au point de vue de l’art et de la poésie. La merveilleuse abbaye, que l’on aimait tant à voir flotter entre terre et ciel comme ces villes mystiques des peintures des primitifs, aura certainement perdu beaucoup de son prestige, et l’effet magique qu’elle doit à son pittoresque isolement aura en grande partie disparu.


VII

D’après tout ce qui précède, on voit que, bien que la reconstitution de notre littoral ancien présente toujours un certain arbitraire, il est possible de donner cependant avec une assez grande approximation la limite de ce rivage, à l’origine de notre ère, dans la partie comprise entre le cap Frébel, qui termine le golfe de Saint-Brieuc, et la falaise de Granville, qui marque la limite extrême de la Bretagne.

Le massif granitique du cap Fréhel paraît avoir été de tout temps, ou tout au moins depuis notre dernière époque géologique, un point absolument fixe, inattaquable. C’était très certainement