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qui l’a formée et mise en mouvement ; c’est par lui que s’établit la cohésion de la foule ; c’est lui qui lui souffle l’idée qu’elle adopte ensuite d’enthousiasme ; son action sur elle peut être considérable. Sa responsabilité individuelle est donc fortement engagée. Néanmoins, remarquons que, si le meneur influence la foule, il est d’autre part influencé par elle. Il n’a fait souvent que formuler les aspirations de celle-ci après les lui avoir empruntées. Il a, lui aussi, été entraîné. « Il faut bien que je les suive, puisque je suis leur chef ! » Et il n’est pas toujours possible de prévoir les déformations que subira une idée, cependant qu’elle court parmi les rangs pressés des hommes. « Une assemblée, une association, une foule, une secte n’a d’autre idée que celle qu’on lui souffle. Cette idée a beau se propager du cerveau d’un seul dans le cerveau de tous, elle reste la même… Mais l’émotion jointe à cette idée et qui se propage avec elle ne reste pas la même en se propageant. Elle s’intensifie d’après une progression mathématique. Ce qui était désir modéré, opinion hésitante, devient passion, haine, fanatisme. » Il pourrait donc, à l’occasion, être aussi injuste de rendre le meneur responsable de l’acte collectif, que d’accuser un savant parce que ceux qui ont mal compris sa doctrine en ont tiré des conséquences et lui ont prêté des applications qu’il désapprouve.

Plus délicat encore est le problème, s’il s’agit non des meneurs de la foule, mais de ceux qui en ont fait partie. La foule peut-elle faire d’un honnête homme un assassin ; et celui-ci est-il aussi peu responsable du crime commis sous l’influence enivrante de la foule, qu’il le serait d’un crime commis sous l’empire d’une suggestion hypnotique ? Ce n’est là qu’une comparaison, et elle est empruntée aux plus récentes hypothèses médicales : nous sommes donc avertis de nous en méfier deux fois. En outre, M. Sighele, qui examine le cas dans une discussion très serrée, conteste qu’on puisse, même dans la suggestion, faire commettre à un individu un acte dont il soit totalement irresponsable. Il faut lutter contre la volonté du sujet qui se révolte et résiste plus souvent qu’il ne cède. Les médecins citent des exemples d’actes qu’ils n’ont jamais pu faire commettre à leurs sujets, et concluent que, si l’individu est absolument rebelle à une idée, il est impossible que cette idée, même suggérée dans l’État hypnotique, se change en action. L’individu n’accomplit que les actions qu’il aurait pu accomplir dans certaines conditions à quelque moment de sa vie : l’acte commis dans l’état d’hypnotisme suppose déjà une prédisposition. En fait, les crimes commis dans les foules le sont, la plupart du temps, par des criminels d’habitude, par des tous ou par des hommes que leur