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d’Osmanville. Deux forts commandaient alors tous les gués du golfe des Veys. Celui de Crociatonum en particulier dominait à la fois la rade et les marais de la Douve, aujourd’hui presque tous desséchés et transformés par la culture. Quelques archéologues croient même que Crociatonum a été fondé par un lieutenant de César, et cela n’a rien d’impossible. Tout ce que l’on peut reconnaître à l’inspection des lieux, c’est que l’ancien castellum était admirablement campé pour commander tout le pays à peu près inondé ; et ce que l’on sait d’une manière positive, c’est que Carentan, qui l’a remplacé, a été pendant tout le moyen âge un port stratégique de premier ordre.

Alors que la mer s’avançait profondément dans l’intérieur du golfe des Veys, et que la presqu’île du Cotentin était en quelque sorte la tête de pont de l’occupation anglaise en France, les marais de la Douve formaient entre elle et la Normandie une barrière qu’il était assez difficile de franchir. On ne pouvait s’y engager que sur des chaussées étroites à peine carrossables, très souvent emportées, ou sur des bornes de pierres espacées de pas en pas pour les piétons. Carentan était donc nécessairement le point de passage obligé de l’un à l’autre pays, et c’est ce qui fit à la fois son importance et ses malheurs pendant plusieurs siècles. Elle fut douze fois prise par les Anglais et soumise à tous les excès des vainqueurs. Déclassée aujourd’hui comme place de guerre, c’est une ville complètement ouverte dont le port a seulement pris un développement assez sérieux depuis un demi-siècle. Un grand bassin à flot de 1 450 mètres de longueur et de 60 mètres de largeur, présentant une superficie de 8 hectares, bordé de quais et de magnifiques levées plantées de superbes ormeaux, qui lui donnent un aspect remarquable, établit la communication entre la baie et la ville. En tête, au confluent de la Douve et de la Taute, l’écluse maritime du Haut-Dick, munie de portes d’èbe et de flot, s’ouvre sur le chenal. Le bassin, qui a la forme d’un V, peut recevoir les caboteurs d’un assez fort tonnage ; c’est le seul port un peu profond que l’on rencontre entre Cherbourg et Caen, et il est d’un grand secours. Établi au centre d’un pays où l’agriculture est poussée d’une manière intense, desservi par des voies de communication de toute nature, d’accès assez facile, il doit surtout sa prospérité à l’exportation du beurre et du bétail que l’on envoie en Angleterre. La valeur du beurre expédié à Southampton seulement a dépassé pendant certaines