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symbole qu’autrement. Les barricades de la Fronde, pavoisées avec les vieux drapeaux de la Ligue, font toucher du doigt la continuité du courant révolutionnaire dans la population parisienne.

Retz se targue d’avoir été celui qui mit le feu aux poudres Ses Mémoires grossissent son rôle, moins qu’on ne l’a dit pourtant. Il tenait réellement dans sa main le Paris pauvre. C’était le fruit de sept années d’un travail patient. Elève très indigne de Vincent de Paul, son ancien précepteur, Retz avait gardé de leur commerce l’idée qu’il fallait compter avec le peuple, qu’il était quelqu’un et non quelque chose, et que l’avenir serait à qui saurait s’en servir. En conséquence, ce jeune abbé de bonne maison, coadjuteur de son oncle l’archevêque de Paris, s’était appliqué à connaître les opinions politiques des crocheteurs et des miséreux. Il fréquentait leurs greniers et y apprenait, en échange de ses aumônes, les mots qui font sortir les barricades de terre à Paris. Il recourut à cette science dangereuse dès qu’il se crut menacé du côté de la cour, trop heureux d’avoir un prétexte de jouer les Marius et les Coriolan ; c’était son rêve depuis son enfance, depuis qu’il avait lu Plutarque.

C’est la grande figure romantique de ces temps où Corneille croisait dans la rue les modèles de ses héros. Retz était bien moins un ambitieux qu’un passionné de l’extraordinaire et de l’éclatant. Rien ne valait à ses yeux une belle aventure. Aucune existence n’était comparable pour lui à celle du conspirateur, aucun surnom aussi flatteur que celui de « petit Catilina[1], » qu’on lui donnait quelquefois. Le peuple parisien s’entendait avec lui. La Rochefoucauld et Saint-Simon ont parlé avec admiration de son « puissant » et « prodigieux génie. » Mazarin, hors d’état de comprendre les héros de Plutarque, puisqu’il n’aimait ni la vertu ni le vice, craignait Retz sans l’admirer et confiait à Mademoiselle qu’il avait « l’âme noire. » Anne d’Autriche ne voyait en lui qu’un « factieux » et un intrigant. Les sots s’en moquaient, et il y prêtait ; il était ridicule avec sa face basanée, ses jambes torses, ses maladresses de myope, et son goût pour les costumes de cavalier, les étoffes voyantes et les fanfreluches, ses allures de petit-maître et ses sempiternelles aventures galantes. Mais il y a des hommes qui supportent le ridicule,

  1. Duchesse de Nemours, Mémoires.