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l’ancienne législation plutôt qu’à la législation moderne du travail : quoiqu’elle s’inspire, en apparence, du principe nouveau de l’égalité de droit, si elle n’est pas ouvertement comme autrefois au bénéfice du patron, elle n’est pas encore, et il s’en faut bien davantage, au bénéfice de l’ouvrier[1].

Presque rien dans le Code civil, qui semble avoir à peu près oublié ou à peu près ignoré l’ouvrier ; et l’on en trouvera toute espèce de motifs, et on l’expliquera par toute sorte de raisons, et nous en connaissons plusieurs[2] : mais il n’y a ni motifs ni raisons ni explications qui puissent faire qu’il ne nous paraisse pas quand même très étonnant, à nous qui avons vu se développer le XIXe siècle après l’an XII, après 1804, que, dans cette règle de vie de la société nouvelle, et dans ce monument de la législation moderne, il n’y ait autant dire pas un mot du travail et pas une place pour le travail.

En revanche, dans le Code pénal de 1810, il y a l’article 291, qui n’est pas spécial aux associations ouvrières, mais qui les atteint comme les autres, et qui est une survivance de l’ancienne législation, de l’ancienne défiance parlementaire et révolutionnaire envers toute association ; il y a les articles 414, 415 et 416, contre toute coalition. Puis, comme si le Code pénal n’était pas assez sévère, on le renforce, sans doute sous la pression de circonstances telles que les émeutes lyonnaises de 1832, par la loi du 10 avril 1834.

On s’obstine donc et l’on s’applique donc à maintenir à l’état inorganique le travail désorganisé depuis un demi-siècle. Mais de lui-même déjà, comme par un effort interne, et comme par cette force plus forte que la force des lois même renforcées d’autres lois, par la force des choses, il tend à se réorganiser. C’est ainsi que la force des choses, introduisant le groupement nécessaire des ouvriers dans le fait, tend à réintroduire, d’abord malgré la loi, l’association dans la loi. C’est ainsi encore que la

  1. « Nul ne pourra, sous les mêmes peines (dommages-intérêts), recevoir un ouvrier s’il n’est porteur d’un livret portant le certificat d’acquit de ses engagemens, délivré par celui de chez qui il sort. — Les conventions, faites de bonne foi entre les ouvriers et ceux qui les emploient, seront exécutées. — L’engagement d’un ouvrier ne pourra excéder un an, à moins qu’il ne soit contremaître, conducteur des autres ouvriers, ou qu’il n’ait un traitement et des conditions stipulées par un acte exprès. — En quelque lieu que réside l’ouvrier, la juridiction sera déterminée par le lieu de la situation des manufactures ou ateliers dans lesquels l’ouvrier aura pris du travail. » Loi du 22 germinal an XI, art. 12, 14, 15 et 21.
  2. Voyez la Revue du 15 décembre 1900, p. 884.