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1791, ils étaient tous en cela des philosophes bien plus que des politiques ; ils avaient trop d’absolu dans l’esprit ; moins philosophes, plus politiques, moins préoccupés du parfait, et plus occupés du possible, ils eussent corrigé les abus afin de sauver l’organisation, non point ruiné l’organisation afin de corriger les abus ; en quoi ils imitaient un peu « les sauvages de la Louisiane, » blâmés pourtant par l’un de leurs auteurs préférés, qui abattaient l’arbre pour en avoir les fruits. Plus politiques, plus pénétrés du sens du relatif, mieux avertis de l’inévitable imperfection des hommes et des institutions, mieux instruits de la nécessité de soutenir et de consolider l’une par l’autre ces deux faiblesses, mieux assurés que l’individu n’est réellement libre que s’il est suffisamment protégé, et que sa débilité a besoin comme d’une superposition d’enveloppes sociales, ils n’eussent pas désorganisé, mais réorganisé ; ou du moins ne l’eussent fait que pour réorganiser ; ou du moins ne l’eussent pas fait sans réorganiser ; et, par exemple, ayant désorganisé le travail, ils ne l’eussent pas laissé ensuite complètement inorganisé.

Tel cependant ils le laissèrent, et tel il resta longtemps après eux. Dans les dix années qui s’écoulent de 1792 à 1802, et qui sont les années proprement révolutionnaires, on légifère assez abondamment par lois ou par décrets sur les maladies et la médecine du travail, sur les secours à accorder aux enfans, aux vieillards et aux indigens, sur les ateliers nationaux, les hôpitaux et les hospices[1]. On légifère même, et malheureusement, par les décrets établissant le maximum du prix des denrées et objets de grande consommation, sur les circonstances du travail[2]. Mais du travail en soi, du travail à l’état de santé et des conditions normales du travail, presque rien. Rien, avant la loi du 22 germinal an XI, concernant les manufactures, fabriques et ateliers ; et l’on peut dire de cette loi, qui traite en l’un de ses titres du louage de services, en un autre de l’apprentissage, qu’elle se rattache, par son esprit et par sa lettre même, à

  1. Décrets, lois ou arrêtés de juillet 1191, du 17 janvier 1192, du 13 mars, du 8 juin, du 28 juin 1793, des 24-27 vendémiaire, 16 ventôse, et 23 messidor an II, 9 fructidor an III, 28 germinal an IV, 16 vendémiaire, 7 et 27 frimaire, 20 et 30 ventôse, 8 thermidor an V, 16 messidor an VII, 15 brumaire, 4 ventôse, 7 germinal, 7 messidor an IX, etc.
  2. Décrets du 3 mai, 26-28 juillet, 19 août, 29 septembre, 2 octobre 1793 ; 11 brumaire an II, 14 février 1794 ; et loi du 4 nivôse an III, qui supprime toutes celles portant fixation d’un maximum sur le prix des denrées et marchandises.