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je ne puis exprimer quel fut mon étonnement à chaque article. L’Angleterre rendait toutes ses conquêtes. Je retardai mon retour à Paris pour ne pas être témoin de la grande fête de la paix. » Convaincus d’ailleurs que l’Angleterre est d’une parfaite bonne foi[1]. « Bonaparte aurait pu se contenter de gardes nationales pour la défense du Rhin et des Alpes… Sûre d’obtenir son indépendance avec la barrière du Rhin et des Alpes, la France ne souhaitait que la tranquillité. » Ainsi l’entourage de Mme de Staël et celui de Joseph, les Benjamin Constant, les Rœderer, les Miot, et tous ceux qu’on nommait les « affidés » de Talleyrand, qui recueillaient les oracles du ministre et pouvaient insinuer au besoin qu’ayant tout prévu, il avait, dès le début de la guerre, conseillé la renonciation aux Pays-Bas et le traité de commerce avec l’Angleterre, c’est-à-dire le contraire de l’œuvre de la Convention et du Premier Consul.

Les « affidés » de Talleyrand avaient pied dans l’autre camp des opposans, infiniment plus redoutables, les gens d’affaires, les intéressés. Ils formaient un groupe remuant, actif, extrêmement répandus dans les ministères, par les banques et les fournitures. On les appelait communément « les amis de l’Angleterre, » qu’il ne faut pas confondre avec les admirateurs de la constitution anglaise et les croyans ingénus au désintéressement britannique. En 1796, lors des premiers essais de négociations, Malmesbury, à peine arrivé, se vit circonvenu par eux ou par leurs courtiers, et il comprit tout le parti que son gouvernement en pouvait tirer. « Les partisans de l’Angleterre, qui ne sont pas en petit nombre, » écrit, en novembre 1796, l’agent prussien, blâment le Directoire, blâment le ministre Delacroix de ne point capituler. Ils renseignent Malmesbury sur l’expédition d’Irlande, sur l’impuissance maritime de la France, les divisions du Directoire. « Tant de gens, écrit encore le Prussien Sandoz, lui offraient leurs services pour fomenter en France un parti de l’Angleterre, qu’il avait été forcé de les menacer d’être dénoncés pour s’en débarrasser. Quelques-uns étaient même membres du Conseil des Cinq-Cents. Ces républicains français sacrifient tout à l’argent, leur honneur, leur liberté et leur fraternité… L’argent opère mieux ici que le droit et la raison. » Il se forme, mande Malmesbury à Grenville, un parti, celui des nouveaux riches[2], qui pourrait fort bien

  1. Considérations, IVe partie, ch. V et XIV.
  2. 13 novembre 1796.