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une rare visiteuse au couvent. C’est du moins ce qui me fut dit. Mais, s’ils meurent facilement, ils doivent vivre en bonne santé en attendant, car ils étaient gais, avaient tous des chairs fermes et des visages au teint frais, et le seul signe morbide que je pus remarquer, l’éclat extraordinaire des yeux, contribuait plutôt à augmenter l’impression générale de vivacité et de force.

« Ceux avec qui j’ai causé avaient un air singulièrement doux, avec ce que j’appellerai une sainte allégresse dans les manières et la conversation. Il y a une note, dans les instructions aux visiteurs, qui leur dit de ne pas s’offenser des brèves réponses de ceux qui les servent, car il sied à des moines de parler peu. On aurait pu se dispenser de cet avis ; sauf un, tous les hospitaliers s’épanchaient en innocens discours et, d’après mon expérience, il était plus facile d’entamer que d’interrompre une conversation. Excepté le Père Michel, qui était un homme du monde, ils se montraient d’un intérêt empressé et bienveillant pour toutes sortes de sujets,… et ils éprouvaient un certain plaisir à entendre le son de leur propre voix. Quant à ceux qui sont astreints au silence, je ne peux qu’admirer la manière dont ils supportent leur solennel et triste isolement. Et pourtant, en dehors de toute idée de mortification, j’aperçois une sage politique, non seulement dans l’exclusion des femmes, mais dans ce vœu de silence. J’ai quelque expérience de certains phalanstères laïques, d’un caractère artistique, et j’ai vu plus d’une association, aisément formée, encore plus aisément dissoute. Avec une règle cistercienne, elles auraient peut-être duré davantage. Dans le voisinage des femmes, il ne peut être question que d’une association passagère entre hommes sans défense. Rêves d’enfance, projets de jeunesse, mâles joies professionnelles, tout est bientôt délaissé pour deux beaux yeux et une voix caressante. Après la femme, c’est la langue qui est la plus grande cause de division[1]. »

Mais, malgré ces beautés montagnardes des Cévennes, c’est toujours à la forêt de Fontainebleau que notre Écossais revenait de préférence. Amené, dès 1875, à Barbizon par son cousin ie peintre R. A. Stevenson, il y avait formé des relations, entre autres avec la famille Lafenestre, et y découvrait chaque fois de nouveaux sites admirables.

  1. Ce morceau est extrait de la traduction des Travels with a donkey in the Cévennes, par Mmes G. La Chesnais et H. Clauzel.