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Cette préférence ne viendrait-elle pas de ce qu’aux yeux de tout homme sensible le lieu où il a connu l’amour est entouré d’un prestige et comme d’une auréole plus brillante ? C’était à Fontainebleau qu’avait commencé pour Stevenson le roman de cœur, qui devait décider du bonheur de sa vie. Aussi a-t-il consacré à la forêt des pages enthousiastes.

« Il y a, en France, écrit-il, des paysages incomparables pour le romantisme et l’harmonie. La Provence et la vallée du Rhône (3), de Vienne à Tarascon, offrent une succession de tableaux qui attendent le pinceau du peintre. Et cette beauté n’est pas pure beauté ; elle parle à l’imagination, elle surprend tout en charmant. Ici vous verrez des villes-fortes, telles qu’on les rencontre au pays des rêves, des rues qui brillent de mille couleurs comme les vitraux d’une cathédrale, des collines de proportions exquises, des fleurs multicolores, poussant dru comme l’herbe. Toutes ces choses, grâce au chemin de fer, le peintre de ce temps peut les avoir à sa porte. Et pourtant, il ne va pas les chercher, il reste fidèle à Fontainebleau, au pont de Gretz, à la cascade de la vallée de Cernay. Je dirai même que Fontainebleau a été comme fait exprès pour les peintres.

« Le charme de Fontainebleau est une chose à part, c’est un paysage tranquille et d’une grâce classique. C’est un endroit que l’on aime encore plus qu’on ne l’admire. L’air vivifiant de la forêt, les voûtes majestueuses des allées, les éboulis de rochers sauvages, l’antiquité et la dignité de certains bosquets, voilà les ingrédiens, mais non le secret du philtre. Le pays est salubre : l’air, la lumière, les parfums, et jusqu’à la forme des choses, tout concourt à une heureuse harmonie[1]. »

Si le goût de l’art et du paysage français et la sympathie pour notre peuple avaient attiré Stevenson en France, ce fut l’amour qui lui fit franchir l’Atlantique et même, d’un bond, traverser les États-Unis pour s’établir sur les côtes du Pacifique. Il avait rencontré, à Barbizon, à l’automne de 1876, Mme F. Osbourne, alors mariée, et, dès la première entrevue, il avait conçu pour elle un sentiment profond, qui jamais ne varia, ni ne faiblit. Elle n’avait pas été heureuse en ménage et, lors de son retour en Amérique avec ses enfans, elle résolut de demander son divorce.

  1. Voyez Across the plains, p. 105, Fontainebleau, colonies villageoises de peintres.