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moins de prix à ses conclusions sur la Renaissance ou sur la Révolution qu’aux « considérans » qui les motivent, qui les fondent, ou qui les démontrent, alors, je le répète, la contradiction n’en est plus une, et tout simplement, en ce cas, d’une vue partielle, étroite ou mutilée de l’objet même de sa recherche et du problème de la critique, il s’est progressivement élevé à une vue plus générale, plus haute et plus féconde.

C’est ce qui nous rend compte encore d’un autre caractère de son œuvre, et non pas le moins remarquable ou le moins original, à mon gré. Je le rapprochais tout à l’heure de Renan. Quand nous lisons Renan, ses Origines du Christianisme ou son Histoire du Peuple d’Israël, ce n’est pas non plus à Renan que nous nous intéressons, mais c’est au sujet qu’il traite, c’est à ce qu’il nous apprend du peuple d’Israël et de son rôle dans l’histoire de l’humanité, des origines du christianisme et de la prédication de saint Paul ou de l’Évangile de Jean. Mais, au contraire, Messieurs, quand nous lisons les Origines de la France contemporaine, est-ce l’histoire de la Révolution que nous y cherchons ? Sont-ce des renseignemens, des « informations » sur Shakspeare, sur Milton, sur Byron et sur Shelley que nous demandons à l’auteur de l’Histoire de la Littérature anglaise ? Je ne le crois pas ! C’est à Taine lui-même que nous nous intéressons, je veux dire non pas à sa personne, — dont jamais écrivain, surtout en notre temps, ne fit moins confidence au public, — mais à sa pensée, mais au mouvement de sa pensée, mais aux conclusions vers lesquelles nous nous sentons entraînés par sa dialectique impérieuse et brillante.

Et ces conclusions ne sont point de la même nature que leurs prémisses. Elles en découlent, mais elles les débordent. L’analyse du génie de Shakspeare ne sert que de démonstration à une théorie de « la production de l’œuvre d’art : » l’explication de la fortune de Napoléon aboutit à un système entier de morale, de politique et même de gouvernement. Il s’en dégage des principes généraux et des lois, analogues pour nous, identiques pour Taine, aux lois de la mécanique ou de la physique ; et sans doute c’est ce qu’il appelait faire de la psychologie. Mais il faisait quelque chose de plus. Dans ce domaine de la critique et de l’histoire, livré jusqu’alors à l’arbitraire du jugement individuel, en essayant d’introduire la notion de loi, c’était la méthode qu’il enrichissait, ou, pour mieux dire encore, il la transformait, et nous, c’est à cette transformation que nous nous intéressons dans son œuvre. Nous aimons à le voir, selon son expression, « souder le domaine des sciences morales à celui des sciences