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Choiseul-Gouffier : « L’explosion sera sous peu, on en sera quitte pour le fracas. Bonaparte est hors d’état de porter à son ennemi aucune atteinte directe. Tout ce qu’il peut exécuter, au moins cette année-ci, est de vexer le royaume de Naples en y faisant subsister un corps d’année. » Les Anglais ne céderont point[1]. « Je pense, disait Whitworth à son collègue de Russie, que ma cour voudrait peut-être se prévaloir des avantages de la position actuelle, qui la mettent à même de porter à la France des coups très sensibles, sans en avoir rien à craindre, pour demander, en Italie, et même ailleurs, un ordre de choses plus tolérable. Trop convaincue des vastes projets que l’ambition insatiable de Bonaparte lui suggère, elle est déterminée à saisir le moment actuel pour y mettre des bornes. » Joseph Bonaparte en convient. « Mon frère, dit-il à Whitworth, a trop abusé de son ascendant. » Joseph a essayé de le modérer, mais il s’est fait éconduire ; il a dû se retirer à Mortefontaine. Néanmoins, l’attitude de l’Angleterre a produit déjà deux très bons effets : « abattre l’orgueil du Premier Consul et désabuser les puissances de l’opinion où elles étaient tombées que rien ne pouvait lui résister. » On lit dans la correspondance royaliste 4-12 avril. « Les nouvelles sont à la guerre. Il est certain que Bonaparte ne la veut pas ; mais il paraît que l’Angleterre la veut. » Bonaparte écrivait à Melzi, le 2 avril : « Je vous dis, pour vous seul, que je ne pense pas que ce commencement de querelle ait de suite, et que je présume que tout s’arrangera suivant la teneur du traité d’Amiens. » Cependant, il avait envoyé un navire à la recherche de Decaen, avec l’ordre pour le général de s’arrêter à l’Île de France, 25 mars 1803. Et Markof concluait, au milieu d’avril : « Je suis très porté à croire qu’il cédera à l’Angleterre sur l’article de Malte, dans la crainte de voir la guerre se renouveler, événement qu’il redoute, à cause du manque absolu des moyens à parer les premiers coups, qui mettraient dans le plus grand danger les restes de la marine française, la sûreté de ses possessions et particulièrement celles de l’Amérique espagnole… Les fonds continuent à baisser. »

Malte devenait le point de mire de toute l’Europe, le rocher où s’accumulent les nuages et qui annonce, selon la direction qu’ils prennent, le beau temps ou la tempête. Si les Anglais l’abandonnent, la France écrase l’Europe, Bonaparte se proclame

  1. Rapports de Markof, 17 mars, 4 avril 1803.