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empereur d’Occident ! Si Bonaparte y laisse les Anglais, c’est la retraite qui commence, et bientôt la déroute de la Révolution : il aura suffi, comme à Saint-Jean-d’Acre, de lui tenir tête pour déshabiller le fantoche et dissiper l’épouvantail ! Le prestige repasse à l’Angleterre, qui paraît se cramponner avec le plus d’acharnement, qui parle avec moins d’emphase, mais avec plus d’autorité. Si l’Angleterre est encore isolée, le continent tourne à la neutralité bienveillante. Duroc est éconduit à Berlin, très poliment ; mais ils sont repus, ils tiennent à digérer en repos. « Que les Anglais exercent le despotisme sur les mers, c’est un très grand inconvénient, je l’avoue, dit Haugwitz : mais le despotisme continental est infiniment plus dangereux. » Et voilà le fruit, très mûr désormais, de tant de sollicitations, d’offres de suprématie, d’empire même ; de tant de lieues carrées de terre allemande, de tant d’âmes d’Allemands, promises par tous les gouvernemens de la République depuis dix ans et distribuées naguère par Bonaparte.

La Prusse demeure ce qu’elle a toujours été. La Russie indique ce qu’elle sera. Alexandre diffère de répondre : c’est le carême, temps d’abstinence ; puis viennent les pieux devoirs de la Semaine sainte ! Quand il écrit, à la fin d’avril, c’est pour se dérober : « Quoique la conduite de l’Angleterre paraisse, en ce moment, contraire à la lettre du traité d’Amiens, je ne me permettrai ni de la défendre, ni de la blâmer. » Il regrette, toutefois, qu’elle se soit mise dans son tort, et il le mande à Simon Woronzof : « Je dois avouer que dans cette occasion, du moins en apparence, le gouvernement anglais a agi contre la lettre du traité d’Amiens, et que, juridiquement, il n’a pas le droit en sa faveur, s’étant obligé à l’évacuation de Malte en des termes déjà remplis ou qui peuvent l’être quand il voudra. » Il offre une médiation, qui serait « franche, si l’empereur n’était pas influencé par son ministère, » mande Hédouville, enguirlandé, comme le devaient être tous les envoyés français près d’Alexandre, et entêté de cette chimère : deux Russies, l’une hostile à l’alliance française, et c’est tout le monde ; l’autre favorable, et c’est l’Empereur tout seul : à la vérité, cet autocrate est incapable ou de vouloir par lui-même ou d’accomplir ce qu’il veut !

En Batavie, la France récolte ce qu’elle a semé depuis que Pichegru a conquis et Sieyès régenté cette république. Ils ne rêvent que neutralité. Sous le manteau, ils négocient avec