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tant souhaitée. Un Directoire, ce serait le salut, et aussi la revanche de l’Europe : remonter de Lunéville, conclu, au congrès de Rastadt, dissous, le Rhin menacé, l’Italie en feu, la Suisse envahie, une descente en Hollande…

Le 23 mai, en réponse à un message de la couronne, aux Lords, Stanhope, exprima le regret que le cabinet n’eût pas accepté l’offre de Malte pour dix années. La Chambre presque entière protesta contre cette opinion. — Il faut châtier la France ! s’écria le duc de Clarence. — Il faut, ajouta le duc de Cumberland, s’opposer aux débordemens d’une ambition sans frein. — Lord Melville se félicite de savoir que l’article 10 du traité d’Amiens ne sera pas exécuté : l’Angleterre est la gardienne naturelle de Malte, et Malte vaut qu’on la revendique, même par la guerre. Rendre Malte à l’Ordre, c’était livrer l’Egypte aux Français. C’est pour l’Angleterre qu’il faut garder Malte ; tous les raisonnemens, ou plutôt toutes les exclamations tournaient autour de ces deux idées. Le duc de Norfolk essaya de recommander la médiation russe. La guerre est indispensable, réplique lord Spencer. La guerre est une nécessité, ajoute lord Grenville, et lord Ellenborough : « Si nous n’avons plus les héros de Crécy et d’Azincourt, il reste encore ceux du Nil et de Saint-Jean-d’Acre. » Castlereagh écrivait quelque temps après : « Il sera difficile de persuader le monde que nous ne combattions pas exclusivement pour Malte. »

La guerre ménageait à Pitt une rentrée triomphale. Il n’avait pas, depuis des mois, reparu aux Communes. Le 24 mai, l’on discutait l’adresse, en réponse au message Hawkesbury parlait depuis une heure, essayant l’apologie du cabinet, Pitt entra. « Grand et maigre, en habit noir, épée à poignée d’acier, chapeau sous le bras, montant, enjambant deux ou trois marches à la fois ; un regard dédaigneux, un air triste et moqueur… le nez au vent, la figure pâle… ; mal vêtu ; sans plaisir, sans passion, avide seulement du pouvoir, méprisant les honneurs, ne voulant être que William Pitt…[1], » celui qu’on appelait « le maître des rois de l’Europe, » gagna sa place. Après Hawkesbury, la chambre écoutait impatiemment Whitbread, Pitt se leva. De toutes parts, on s’écria : — M. Pitt ! M. Pitt ! Et il parla. Son élocution était monotone, son geste insensible ; mais « la

  1. Chateaubriand, Mémoires.