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Le 17 octobre, encore un mort. Quelques heures après, Thring étant sorti, encore le terrible glas ; il s’informe haletant, on lui dit qu’une vieille femme vient de mourir.

Le 23 octobre, attaqué de tous côtés par la presse, il écrit : « Tout harassé que je suis, j’ai de la peine parfois à ne pas éclater de rire. Quelle dégringolade depuis trois semaines pour ma vanité ! Et moi qui croyais avoir fait une œuvre ! »

L’école est enfin licenciée pour quelques semaines. Pendant ce temps, il fallait soutenir une lutte en règle avec le Conseil d’administration pour obtenir les mesures d’assainissement indispensables. Ces absurdes résistances exaspéraient Thring, mais vite il se calmait par des réminiscences bibliques. Les psaumes de David persécuté faisaient alors sa prière. « Que c’est curieux de vivre ainsi les psaumes ! »

Vers la fin de janvier 1876, à la veille de la rentrée, il y eut dans cette âme qui, par momens, était d’un poète et d’un enfant, une trêve délicieuse de quelques heures entre les souvenirs désolans de la veille et les terribles surprises du lendemain.


25 janvier. — Les David ont passé la soirée avec nous, puis les enfans ont dansé. David assis sur la table réglait la danse sur son violon. C’était charmant de voir danser la petite G… Elle le faisait si bien. Je ne sais d’où cela vient, mais voir danser me met toujours dans le rêve. Même quand j’étais jeune, ce spectacle me donnait une paisible impression de la vie humaine et de sa grâce fuyante. Agé maintenant, les jours de ma jeunesse me reviennent, et les fantômes des danses disparues traînent dans mon esprit une calme et délicieuse rêverie, sentiment très doux de beauté, de grâce en fleur, vision délicate de quelque chose qui n’est pas réel et qui pourtant n’est pas un fantôme, étrange poème de la jeunesse et de l’espérance et de la beauté qui passe et repasse devant les yeux et la pensée. Ce soir, dans notre pauvre maison assombrie, cette petite idylle d’une demi-heure était charmante comme un lambeau retrouvé d’un monde perdu, comme un écho joyeux de jours moins agités. J’en étais très suavement hors de moi.


L’angoisse reprend vite le dessus. La peur de cette rentrée prochaine l’obsède, et, au milieu des interminables journées, il attend, il invoque l’heure où il pourra se réfugier dans le sommeil.

La première semaine après le retour des élèves se passa à redouter l’apparition du fléau, peut-être embusqué en quelque coin et prêt à recommencer son œuvre. Peu à peu, le travail aidant, la confiance s’établissait et Thring avait moins de peine à voir clair dans les ténèbres passées.