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et a couru embrasser deux fois Mme R… en lui disant la bonne nouvelle. Touchant petit morceau de vie de collège !


J’avoue avec lui que ce son ! là des riens, mais de ces riens qui peignent un homme. Un autre aurait souri au récit de Mme R… et aurait songé à autre chose. Thring en est resté radieux pour plusieurs heures. Il est reconnaissant au petit homme de se sentir tout à fait chez lui au collège, de faire comme s’il était à la maison, et, le soir, il s’empresse de fixer sur son journal cette impression. D’ailleurs, à regarder de plus près, est-ce là vraiment peu de chose ? Je me défie, pour ma part, d’un directeur de collège qui n’a pas l’air de se douter que, pendant les mois de classe, ses élèves sont des orphelins. L’internat, s’il est un mal nécessaire, n’en est pas moins contre nature. Les enfans l’oublient d’ordinaire assez vite, je le sais et cela me paraît le vice profond du système, mais comment pardonner aux maîtres qui se résignent gaiement à de pareils résultats ? On ne leur demande pas d’amollir le cœur des enfans par de dangereuses faiblesses, mais seulement, — et n’est-ce pas déjà beaucoup, — de souffrir eux-mêmes de ce dont les élèves s’habituent trop vite à ne plus souffrir. L’absence de la mère complique singulièrement la mission de l’éducateur et la difficulté est de celles que les manuels de pédagogie ne peuvent résoudre. Aucune recette n’apprendra au maître à faire la part du sentiment dans une œuvre qu’il serait inintelligent et coupable d’abandonner aux seules lumières de la raison, et voilà pourquoi j’attache tant de prix à ces jolis enfantillages du journal de Thring ; je reconnais un éducateur à ces mouvemens d’instinctive et presque féminine tendresse.

Je le reconnais encore, et pour la même raison, à cet appel pressant adressé par Thring à un auxiliaire que les théoriciens oublient trop souvent de mentionner. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul, » le maître fouetteur d’Uppingham aurait volontiers appliqué la parole biblique à l’œuvre de l’éducation. Il avait à ce sujet des inspirations d’une grâce charmante et très clairvoyante. « Je sens, aimait-il à dire, que la destinée du monde est entre les mains des femmes, » et dans ses conférences sur l’impureté, il en appelait à la nécessaire influence de celles qui, infiniment douces et délicates, peuvent seules, disait-il, aider le jeune homme à l’heure où le tourmentent les premières révélations du mal.