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Pour être à peine esquissée, cette indication n’en est que plus précieuse et peut-être vaut-il mieux qu’il n’ait pas insisté davantage ou que ses biographes aient négligé de nous en avertir. J’aurais peur vraiment que sa main un peu lourde ne gâtât cette inspiration exquise. C’est presque toujours ce qui arrive avec lui et les belles ondes qui jaillissent de son cœur s’épaississent on ne sait comment en traversant les chambres confuses de son esprit. Nous avons d’ailleurs sur cette chère doctrine, mieux qu’un livre de lui, une page la plus candide et la plus affectueuse de sa vie.

On croit rêver en lisant cette histoire qui prélude, qui s’épanouit et qui s’achève avec des airs de conte de fées. L’héroïne est une vieille dame qui règne sur un monde enchanté. Passe un vieux monsieur qui la reconnaît aussitôt pour reine et jure de porter ses couleurs. La dame meurt et… mais, non, il ne nous faut pas plus longtemps sourire de cette idylle touchante et qui ne fut pas sans tristesses.

Ils ne s’étaient jamais vus et ne devaient se rencontrer que pendant quelques minutes douloureuses. Elle s’appelait Mrs Ewing et écrivait de jolis romans, simples et purs, délices des petits Anglais. Thring, ayant découvert un de ces romans, s’enthousiasma pour elle et, à partir de ce jour, une correspondance s’engagea entre lui et celle qu’il appelait « la reine du pays des fées. » A côté des lettres bonnes, sages, bourgeoises que la reine lui envoie, les lettres de Thring, — il avait alors plus de soixante ans, — sont d’un jeune homme par la verve, la fraîcheur et la chaleur des sentimens. Dans sa simplicité, il s’est laissé prendre au piège que les romanciers tendent aux âmes neuves, et il a lu et relu ces jolies aventures comme un enfant avec des surprises, avec des joies et avec des larmes. La réflexion venue, il songe sans doute au bien que de tels livres pourront faire à ses élèves et ce lui est une nouvelle raison de les admirer ; mais il les a aimés d’abord en eux-mêmes et pour lui-même, et naïvement persuadé que l’auteur ressemblait à ses livres, il s’est donné à l’enchanteresse avec une ferveur religieuse et des tendresses d’amoureux.

Aux vacances de Pâques 4885, Mrs Ewing était mourante. Thring alla la voir et voici, d’après les épanchemens du journal intime, la fin de ce mystique roman.

Elle était très mal, mais elle voulut me recevoir, et je ne l’oublierai jamais.