Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est l’honneur de ma vie d’avoir été reçu par elle comme un vieil ami, moi qu’elle n’avait jamais vu. Elle était couchée, si maigre, si pâle, plus que pâle. Mais dès qu’elle relevait la tête, ses grands yeux brillaient et tout son visage devenait lumineux. Nous eûmes quelques minutes d’une conversation qui fut pour moi délicieuse. Elle me demanda de réciter l’oraison dominicale, ce que je fis en tenant ses pauvres mains dans les miennes. Puis je suis parti. Dieu soit béni de m’avoir accordé le cher privilège de la voir et de la réconforter !

7 mai. — Je prie chaque jour pour qu’elle se rétablisse et puisse encore prophétiser les tendres secrets de la vie de Dieu. C’était sa mission.


Rentré à Uppingham, il écrivait à la sœur de la malade :


En vous envoyant cette petite plaquette de moi, je ne songeais pas qu’on la lui lirait. Encore moins pensais-je qu’elle dût la lire elle-même. Je ne l’envoyais que comme une preuve de fidélité à ma reine comme doit faire tout féal sujet. Toute ma famille, fidèle aussi à la souveraine de Fairyland, travaille avec moi à une moisson de fleurs pour notre reine. Tous les lys de notre vallée sont réservés à Mme Thring ; elle vous les envoie en son nom. J’espère que ma reine gagne sa croix de Victoria et recueille toute sorte de tendres expériences sur la vie de Dieu en nous. Tout cela sera plus tard une lumière pour son cœur.


Pendant ces tristes semaines, le journal est absorbé par cette unique pensée.


13 mai. — Hélas ! elle ne verra pas nos fleurs. Elle est entre la vie et la mort. Seules nos prières lui arrivent. Je prie, mais le cœur est bien bas.

14 mai. — L’Ascension. Oui, ma reine est morte. Hier matin, vers huit heures, son âme charmante a disparu et notre terre n’entendra plus jamais sa douce voix. Elle parle encore cependant. Quelle lumière vient de s’éteindre !… O my queen ! my queen ! Son affection me consacre pour de nouveaux devoirs, attente mystérieuse, appel à une vie plus haute, à une dévotion plus spirituelle.

18 mai. — 540 milles depuis l’autre jour. Vendredi matin, en sortant de classe, je trouve une lettre de sa sœur me disant que la famille me préférait à tout autre prêtre pour les funérailles… Des soldats ont porté sa dépouille (le mari de Mrs Éwing était officier de l’armée anglaise) dans le paisible cimetière du village. C’était par une matinée superbe. La tombe garnie de mousse et de fleurs, le cercueil couvert de croix et de guirlandes… Jamais je n’aurai un honneur pareil à celui d’être associé à ses derniers momens, à ses obsèques… Me voilà transporté dans un monde plus haut par l’union sacrée et merveilleuse de mon âme à celle de cette pure prophétesse de la vie de Dieu en nous !

25 mai. — Le monde me semble maintenant bien vide. Je ne savais pas encore à quel point, depuis des années, elle était dans mon cœur le gracieux idéal de la mission de la femme en ce monde… O my queen ! my queen ! Je veux tâcher d’être meilleur et plus saint et, par-dessus tout, de révérer et exalter la femme comme la vraie servante du fiancé divin.